Avec Znorko, tout devient possible
Après quatre années passées à organiser des spectacles, des projets et des rencontres, le temps d’obtenir toutes les autorisations nécessaires et de mettre en œuvre le chantier d’aménagement du lieu, la troupe de Wladyslaw Znorko a enfin ouvert les portes de la Gare Franche. Une dynamique artistique particulière qui fait de ce lieu une terre d’ancrage pour l’imaginaire et la poésie au quotidien…
Après quatre années passées à organiser des spectacles, des projets et des rencontres, le temps d’obtenir toutes les autorisations nécessaires et de mettre en œuvre le chantier d’aménagement du lieu, la troupe de Wladyslaw Znorko a enfin ouvert les portes de la Gare Franche. Une dynamique artistique particulière qui fait de ce lieu une terre d’ancrage pour l’imaginaire et la poésie au quotidien…
Nichée contre la falaise du Plan d’Aou, enserrée entre la voie de chemin de fer Aix-Marseille et les entrepôts de meubles de Saint Antoine, la Gare Franche se situe à la frontière de deux quartiers qui semblent s’ignorer : le Plan d’Aou et Saint Antoine. Un lieu en prise directe avec la réalité géographique et sociale de son territoire (le quinzième arrondissement) donc, mais aussi un espace habité par les rêves de Wladyslaw Znorko, fondateur et metteur en scène de la compagnie du Cosmos Kolej.
En 2001, après sept années passées en Irlande, Znorko décide de revenir en France, à Marseille, où tous ses spectacles l’ont amené, en particulier au Toursky et au Massalia. Il y découvre une usine désaffectée qui servait autrefois à fabriquer des fûts métalliques, l’ancienne maison de maître et le jardin de la Gare Franche qu’il acquiert en 2003 avec le soutien des collectivités[1] pour en faire une salle de spectacles. Cet espace intermédiaire de par sa position géographique et politique, classé à la fois en Zone Urbaine Sensible et inscrit au Grand Projet de Ville, est tout de suite perçu comme le lieu où tout peut se jouer… Il fonctionne rapidement comme levier poétique pour la création, la réalisation, la formation au théâtre et à l’art, l’accueil en résidence pour d’autres compagnies… Mais aussi comme la possibilité d’invention de nouveaux modes de partage et de rencontre. Notamment en démultipliant les usages publics ou collectifs sur le site. Le temps d’attente du permis de construire pour réhabiliter les lieux, loin d’être perdu, se transforme en temps de rencontre avec les habitants, l’occasion de tisser des liens et d’ancrer le site dans une histoire commune. Si pour chaque espace construit se superpose celui des imaginaires privés, ici les lieux s’entrelacent et s’imbriquent en se transformant en imaginaire collectif, sous l’égide de Znorko. Depuis son arrivée à la Gare Franche, il écrit et met en scène les petites et grandes histoires du Plan d’Aou et de Saint Antoine. L’Abécédaire de la Gare Franche et le Bestiaire de Saint-Antoine sont ainsi en cours d’écriture… Il se met aussi à organiser des visites guidées dans lesquelles il mêle l’imaginaire à l’histoire et à la géographie. Une manière de se présenter à ses voisins en montrant ses intentions.
D’emblée, cette volonté d’articuler projets artistiques et actions culturelles, de développer de manière concomitante pratiques artistiques et manière de vivre ensemble, est rendue visible par la réalisation du chantier d’aménagement du lieu. La compagnie travaille à mobiliser les réseaux qui travaillent au développement du quartier.
La réhabilitation de la bastide de la Gare Franche a ainsi été l’occasion de deux chantiers d’insertion de six mois. De fil en aiguille, la proposition d’intégrer des modules de formation artistique a donné lieu à la réalisation d’un chantier sonore avec les ouvriers. Les musiciens Christophe Gantelmi et Jérôme Matéo ont tenté de fabriquer avec eux une composition musicale à partir des sons produits dans leur environnement et de leurs propres objets personnels.
Si le jardin demande à être défriché, le Cosmos Kolej envisage un usage partagé du site, dans la dynamique économique, sociale et urbaine qui est celle de son quartier. Aussi, un projet de potager collectif est-il monté avec le Centre Social du Grand Saint-Antoine.
Autre action, nouvelle occasion de partage et d’échange avec une association du quartier : Les Jeunes Filles du Nord y organisent des défilés. Le Cosmos Kolej ouvre ses malles remplies de costumes et s’associe à Lou Bess, une styliste marseillaise, pour que les filles puissent réaliser des robes. Le défilé de mode se transforme rapidement en pièce de théâtre…
Par ailleurs, pendant un an, les architectes et urbanistes du collectif bordelais Bruit du Frigo, accueillis en résidence, ont réalisé des ateliers d’urbanisme utopique. En écho au jardin du Cosmos Kolej, utilisé comme support d’échanges artistiques avec les gens du quartier, ils ont commencé à s’intéresser au paysage du Plan d’Aou. Une cartographie des flores vertueuses du quartier, ainsi que des performances culinaires à partir des récoltes ont été réalisées. Le Bruit du Frigo intervient également sur l’état transitoire de ce quartier en mutation, qui présente aujourd’hui une figure paradoxale, celle d’un quartier neuf et celle d’un quartier en attente. Il s’agit à la fois d’interroger ce qui se produit et de proposer des pistes d’actions concrètes sur la requalification temporaire d’espace public en alliance avec le voisinage par un processus de transformation artistique.
En articulant urbanisme et utopie, en cherchant à construire des alliances entre ceux qui commandent, ceux qui réalisent et ceux qui utilisent et habitent un lieu, ils participent et développent d’une manière singulière l’univers poétique et onirique de Znorko et témoignent d’une certaine façon d’envisager le rapport de l’art à un territoire.
Comme le souligne Nathalie Marteau, directrice du Merlan, La Gare Franche fonctionne ainsi « comme lieu artistique de création et de recherche, mais aussi comme lien possible et sensible que l’art peut provoquer (entre les gens, entre eux et les artistes). » Un lieu qui nous invite, selon le mot fameux de Hölderlin, à habiter poétiquement le monde. C’est-à-dire à renoncer à l’habiter en tant que propriétaire, en maître : au lieu de le contraindre, le laisser être. Ainsi, selon Znorko, « il ne s’agit pas de se comporter en terrain conquis puisque c’est le terrain qui vient à notre conquête. C’est nous qui sommes conquis. »
En articulant les pratiques artistiques avec un territoire, la réalité avec l’imaginaire, les gens entre eux, ce lieu où l’on s’y sent bien a de belles perspectives d’avenir. Il semble nous murmurer que c’est notre manière de vivre et de penser ce monde-ci qui peut donner naissance et sens à quelque chose qui ressemble à un idéal, une possibilité de vivre dans ce monde-là. L’art y participe ici d’une manière concrète, vivante, en assumant et transformant les relations du quotidien.
Elodie Guida
La Gare Franche : 7 chemin des Tuileries, 15e. Rens. 04 91 65 17 77 / www.cosmoskolej.org A l’affiche jusqu’au 31/05 : Les boutiques de Cannelle par le Cosmos Kolej et Une cartographie du Plan d’Aou par le collectif Bruit du Frigo (parcours, performances, cartographie et irruptions poétiques).
Notes
[1] Les travaux de réhabilitation sont financés par la Ville (35 %), la DRAC Provence-Alpes-Côté d’Azur – Ministère de la Culture (25 %), la Région (25 %), le Département (5 %) et la Compagnie (10 %).