Un monde à part
Le prochain marché des musiques du monde, le Babel Med, s’ouvre aux musiques actuelles (comprendre électronique, pop et rock), et surtout au jazz, pour une treizième édition sans étiquettes.
Pour Olivier Rey, à la communication, défendre l’ouverture, c’est constater que « Les programmations de festivals world et de festivals jazz sont poreuses, et il n’y a pas de marché jazz en France… Les artistes font déjà ce genre de fusion dans leur création. » En effet, la plupart des festivals de jazz, en France en particulier, n’hésitent plus à programmer des groupes qui voyagent entre les genres. Quant à profiter d’un marché du jazz… il faut se déplacer jusqu’en Allemagne pour trouver le premier ! « Les projets (NDLR : de musiques actuelles) dessinent une cartographie de ce qui se crée et de ce qui s’écoute dans les grands foyers musicaux mondiaux que sont Dakar, Buenos Aires, Athènes, Bruxelles, Barcelone, Luanda ou Rabat… Il nous est difficile de mettre en place des barrières ou des frontières (de genres ou autres) alors que nous prônons l’ouverture face au repli communautaire. »
Cette ouverture est aussi l’apanage de Zone Franche, association forte de cent cinquante structures adhérentes (production, diffusion, festivals, salles de concert, médias et artistes). Son but est de défendre ce que l’on nomme « les musiques du monde », une volonté qui passe par un engagement quasi politique. Elle a même établi une charte dans laquelle on peut lire : « Les musiques du monde contribuent à donner sens à la citoyenneté planétaire et jouent un rôle éminent dans la compréhension de l’Autre, dans la lutte contre le racisme, la xénophobie, le sexisme, l’intolérance. » D’après son directeur, Thomas Laou Hap, la France est le premier marché mondial en matière de production et de diffusion de musiques extra occidentales, mais pas seulement donc. Il constate pourtant un manque de visibilité auprès des médias, alors qu’un renouvellement artistique est en plein essor, un phénomène lié au « monde village ».
En PACA, les manques s’avèrent d’autant plus probants. Cécile Rata, directrice d’Africa Fête (festival des musiques d’Afrique à Marseille et membre du réseau Zone Franche), constate la carence de lieux de diffusion, de festivals ou d’événements world. Elle souligne également un besoin de systèmes d’accompagnements des jeunes artistes dans une région où les cultures se côtoient pourtant au quotidien.
D’où la grande pertinence d’un salon comme Babel Med qui, s’il reste un marché pour les pros ou les contrats de vente, où les coproductions vont bon train, est aussi un rendez-vous musical festif ouvert à tous lorsque la nuit tombe, fort de concerts, de projections de films, de spectacles pour les minots et de conférences. Un endroit de rencontres tout simplement, qu’elles soient professionnelles ou pas.
Parmi tous ces événements, risquons-nous tout de même à une sélection, entre critères esthétiques et engagement d’ordre social ou humanitaire. À l’instar de Paul Wamo, qui reste un slameur et un poète engagé avec une approche de musicologue. Un poète qui sait transmettre à son public un affolement à fleur de peau. Maarja Nuut est quant à elle une violoniste estonienne virtuose qui propose un mélange de mélodies traditionnelles dans une approche résolument expérimentale. Le résultat est frais et enchanteur. K’Koustik ? Quatre musiciens qui rendent hommage au Ka, tambour né durant la période de l’esclavage, au sein de l’odieux commerce triangulaire…. Très populaire en Guadeloupe, le ka est joué dans environ sept rythmes différents qui sous-tendent tous le fameux genre musical que l’on nomme « gwoka ». Durant cette période tumultueuse, la musique était pour les esclaves le seul moyen d’évasion et de communication dans une réalité infernale… Les mélodies imprégnées de groove de K’Koustik lorgnent ainsi vers un swing ineffable.
D’origine haïtienne, Jowee Omicil a quant à lui appris l’art des soufflants au Berklee College of Music et au Thelonious Monk Institute of Jazz. Il a notamment accompagné Marcus Miller et Roy Hargrove. Sa musique s’appuie sur la liberté du jazz, la spiritualité du gospel et l’univers oral de grooves qui vous secouent l’âme.
Il ne faudra pas manquer non plus le passage des Txarango, qui associent le ska à la rumba, au reggae et aux rythmes latins urbains. Ils sont les témoins de cette générosité typiquement méditerranéenne aussi bien à travers de leur musique que dans leur show, jusque dans leur vie quotidienne. Ils ont, en autres projets humanitaires, construit une Maison de la Culture au Sénégal…
Notre cher Rachid Taha, qui brasse le punk, le chaâbi, l’électro et le raï sera de retour pour nous prendre à la gorge avec sa voix rauque, ses mots dans cette si belle langue arabe. Il ressort de sa musique rebelle une âme que l’on pourrait dire soul, pour toucher au plus profond du cœur.
En sus des têtes d’affiches et concerts, il convient aussi (et surtout) de partir à la rencontre de groupes locaux ou nationaux via des showcases étalés sur tout le festival. Parmi eux, le trio Diwan (« germer » en breton, du même nom que les écoles bilingues breton/français, mais aussi, en persan, « le lieu où on discute de musique, poésie, de littérature et de sagesse »), qui combine des références multiples, de leurs solides éducations musicales en jazz et musiques traditionnelles, entre autres, et de leurs multiples scènes internationales. Tout un programme.
Catherine Moreau
Babel Med Music : du 16 au 18/03 au Dock des Suds (12 rue Urbain V, 2e).
Rens. : 04 91 99 00 00 / www.babelmedmusic.com
À voir aussi :
– Babel Minots : du 15 au 18/03 au Nomad Café (11 boulevard de Briançon, 3e).
Rens. : 04 9162 49 77 / www.lenomad.com
– Les Écrans de Babel : du 16 au 18/03 à Marseille (Bibliothèque l’Alcazar et Hangar J1 – voir Rubrique Cinéma).
Rens. : http://mediterranee-audiovisuelle.com
Rens. : http://mediterranee-audiovisuelle.com