Baya. Une héroïne algérienne de l’art moderne au Centre de la Vieille Charité
Pinceaux de l’ange
La culture comme source d’émancipation et d’avant-gardisme, c’est l’angle choisi par l’exposition Baya. Une héroïne algérienne de l’art moderne pour traiter de cette artiste aux multiples facettes. À travers trois salles richement documentées, nous explorons à la fois l’évolution et les thèmes de prédilection de celle qui fut la première femme algérienne à s’imposer dans le monde si masculin et privilégié de l’art.
Si l’on a pu associer Baya au surréalisme et à l’art de Picasso, avec qui elle a souvent dialogué, il est en réalité difficile et vain d’essayer de classifier son œuvre. Au lieu de lui ôter sa singularité, il s’agirait plutôt d’étudier comment elle a puisé son inspiration dans ce qu’elle observait, afin d’en retranscrire son point de vue de façon artistique. En cela, la nature a son importance dans le travail de Baya, où l’on trouve tour à tour des animaux de toutes sortes et des fleurs, représentés sous forme de tableau ou bien de céramique. Nous sommes plongés sensoriellement au cœur de cet univers grâce à la partition sonore diffusée durant la visite, et qui laisse entendre des chants d’oiseaux, des récitations de contes populaires… Au sein du parcours de l’exposition, on remarque que l’artiste s’appuie toujours sur les mêmes thématiques, et c’est précisément ce qui permet de constater son évolution. Femmes de profil, oiseaux, fruits, poissons, instruments de musique… tous ces éléments se succèdent tout au long de l’exposition. On y reconnaît toujours le style de Baya, qui a en quelque sorte créé sa marque de fabrique, entre gouaches aux couleurs multiples et traits volontairement difformes. Toutefois, au fil du temps, on remarque des partis pris, une volonté de ne pas en rester là. C’est pourquoi dès la fin des années 60, elle s’adonne à de nouvelles pratiques formelles, s’essayant à la peinture sur des supports inédits comme le bois et le tissu (une robe qu’elle a peinte est d’ailleurs exposée). Si un changement en entraîne un autre comme par effet papillon, ces innovations techniques induisent chez Baya une façon nouvelle de représenter l’espace. Dans l’œuvre Femme aux instruments de musique, réalisée sur du contreplaqué, on distingue davantage qu’auparavant le contraste entre les couleurs, entre le plein et le vide. Elle peindra même sur des coffrets et des boîtes, en écho à sa culture et son pays où il est coutume de peindre de tels objets à l’occasion de mariages. Outre les nombreux articles de presse d’époque lui étant consacrés, les photographies qui la mettent en scène seule ou accompagnée, ou encore ses premiers dessins préfigurant les œuvres à venir, l’exposition a choisi d’aller au-delà. Afin de saisir toute l’essence du travail de Baya, de nombreux objets permettent de le contextualiser. Ainsi, toute une section est dédiée au rapport qu’entretenait l’artiste avec la musique. On y trouve bien sûr des œuvres représentant des instruments, qui se mêlent aux sujets de référence de Baya abordés plus haut : Femmes et cithare, Fleurs et instruments de musique, Musicienne aux oiseaux, grappe et fleurs, tout s’entrechoque, dans les titres comme les tableaux. Mais pour immerger complètement les visiteurs, sont aussi exposés des instruments comme l’oud et la vièle. Cela donne vie aux œuvres, et nous pousse à analyser la façon dont Baya s’est appuyée sur ces modèles-objets, pour ensuite les peindre à sa manière. La comparaison permet en effet de saisir la vision de l’artiste sur le monde qui l’entoure. Ce que l’on observe dans une grande partie de ses tableaux, c’est cette volonté de toujours créer de la continuité. Des éléments de prime abord dissociables les uns des autres se lient et échangent entre eux pour former une unité. De plus, il arrive que les traits continuent hors cadre, comme dans l’œuvre Instruments de musique, dans laquelle instruments et oiseaux se confondent. Cette plénitude rappelle finalement l’œuvre de Baya prise dans son entièreté, qui fut très prolifique malgré un arrêt d’une dizaine d’années pour des raisons personnelles. Elle ne s’est pas contentée de suivre un chemin uniforme, illustrant par exemple des contes pour enfants, des contes algériens. S’il fallait choisir un seul mot pour qualifier l’ensemble de son activité, on pourrait prendre celui de « mouvement ». Que l’on se réfère à son travail qui n’a cessé d’évoluer ou bien au contenu même de ses œuvres, c’est la mobilité qui est sans cesse mise à l’honneur. En témoigne le désir de représenter des femmes costumées, qui se tiennent parfois aux côtés d’instruments. Tout nous rappelle la danse, la musique, l’art, autant de domaines célébrant la vie, qui fut la source principale de l’inspiration de Baya.
Lara Ghazal
Baya. Une héroïne algérienne de l’art moderne : jusqu’au 24/09 au Centre de la Vieille Charité (2 rue de la Charité, 2e).
Rens. : https://vieille-charite-marseille.com