Berdaguer & Péjus à la galerieofmarseille

Berdaguer & Péjus à la galerieofmarseille

expo-Berdaguer-et-Pejus.jpg

Question(s) de point(s) de vue

Double actualité pour Marie Péjus et Christophe Berdaguer, auxquels la galerieofmarseille consacre une exposition et dont on peut voir une pièce à l’Abbaye de Silvacane. Dans l’attente, on l’espère, d’une grande rétrospective dédiée au duo marseillais, dont le travail ne cesse de fasciner et de questionner, hélas pas assez souvent à Marseille…

A travers leurs installations, Berdaguer & Pejus explorent nos architectures réelles et psychiques, cherchant à rendre compte d’un point de vue, d’une perception différente de celle admise par le commun des mortels.
Quand ils travaillent sur l’espace, comme dans Ville hormonale (2000), l’architecture disparaît au profit des informations biologiques, chimiques, des phénomènes gazeux évaporés dans l’air qui constituent alors le bâti. L’idée étant d’en comprendre les effets sur notre corps, nos sens et de réduire finalement la construction à son action physiologique sur l’être humain. Quant ils s’intéressent à nos pathologies, ce n’est jamais dans un souci thérapeutique, mais bien pour en extraire une façon différente de voir le monde quand l’un de nos sens ou de nos récepteurs neurologiques est altéré. Dans Forêt épileptique (1998), il s’agit ainsi « d’entrer dans le cerveau » d’une personne dont la perception de l’espace est perturbée pour acquérir une nouvelle vision des choses et ainsi fabriquer un autre monde.
Qu’il s’agisse d’architecture ou de questions psychiques, il est donc d’avantage question de remettre en cause les sciences exactes et l’architecture que de les porter aux nues.
Réalisée avec le CIRVA (Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques), la pièce Jardin d’addiction, présentée à l’Abbaye de Silvacane, est un enchevêtrement de tubes de verre qui diffusent en permanence de la morphine, de la cocaïne et autres substances illicites, révélées par le cartel. D’où les questions qui se posent au spectateur : jusqu’à quel point est-il exposé aux dites substances ? L’œuvre peut-elle avoir une conséquence directe sur son organisme ? Est-il enclin à se prêter au jeu ? L’art peut-il faire du regardeur un cobaye ? Peut-on adhérer intellectuellement à ce que révèle le cartel ?
Des interrogations que l’on retrouve dans leur exposition à Marseille. Ainsi, l’œuvre Bulle de confiance incite le visiteur à s’immerger dans une sphère dont l’air sature en ocytocine, hormone du lien affectif et de la confiance en soi. La question du placebo, récurrente dans les œuvres du duo, serait comme une métaphore de l’accord tacite passé entre le regardeur et l’œuvre. Tout comme aux informations inscrites sur le cartel, on doit croire à l’art, sinon le dialogue ne peut pas opérer.
Dans Rosabelle believe (1), la figure d’Houdini est présente comme un fil conducteur entre les sculptures. Mâchoires ressemble ainsi à un nœud de Moebius, rappelant les chaînes dont le prestidigitateur tentait de se défaire sur scène. Un casse-tête géant, dont les phrases gravées sur l’inox sont la résultante de permutations de mots obtenues par Wittgenstein. Les méandres du langage et donc de l’esprit se matérialisent dans les circonvolutions de la sculpture, que le spectateur peut tenter de résoudre…
Chaque élément de l’exposition nous ramène à la question du temps et de la perception qu’on en a, à l’instar de ce sablier qui s’étire aux limites de la résilience du verre ou de Time zone, vidéo dans laquelle un homme marche dans le sable, définissant des cercles, référence explicite à la spirale Getty de Robert Smithon.

Céline Ghislery

Berdaguer & Péjus : jusqu’au 15/07 à la galerieofmarseille (8 rue du Chevalier Roze, 2e). Rens. 04 91 90 07 98 / www.galerieofmarseille.com
Jardin d’addiction : jusqu’au 27/07 à l’Abbaye de Silvacane (La Roque d’Anthéron). Rens. 04 42 50 41 69

Notes
  1. Le titre fait référence au message codé posthume imaginé par Houdini et sa femme pour prouver la véracité d’un dialogue d’outre-tombe. []