Bettina Samson et Julien Tibéri, Stratos Fear, à la galerie RLBQ
La science des rêves
Pour l’exposition Stratos Fear, Julien Tiberi et Bettina Samson nous font pénétrer au sein de phénomènes paradoxaux qui défient notre grille habituelle de lecture du monde.
Les deux artistes réalisent ici un véritable tour de force en créant un dialogue fécond entre leurs œuvres tout en affirmant, chacun à leur façon, l’originalité de leurs créations. D’une manière générale, leur mode de construction des œuvres mettent en jeu une logique de l’appropriation et de la référence qui confère de nouvelles configurations aux données mobilisées et explorées. Pour l’occasion, des rêveries sur des phénomènes spatio-temporels réels ou fictifs (qu’ils soient scientifiques, littéraires, artistiques ou biologiques) sont le point de départ de la création.
Est-il possible de réaliser des photographies en l’absence même de lumière ? De transformer une expérience scientifique en logique artistique ? Ou encore de perturber l’enchaînement des découvertes scientifiques en modifiant la flèche du temps ? Bettina Samson donne chair à ces interrogations en réalisant deux œuvres qui renvoient l’une à l’autre par un jeu de tensions. L’artiste fait cohabiter dans une même salle des photographies en noir et blanc aux allures « lunaires », quasi-immatérielles et évanescentes, et un établi en bois, massif et pesant. Explicitement, comme l’indiquent les titres des œuvres, elles font toutes deux référence au scientifique Becquerel : l’une par la reprise du procédé à la source de la découverte de la radioactivité (1), l’autre en étant une réplique surdimensionnée de la table de travail du chercheur. Implicitement, elles instituent un rapprochement entre la démarche artistique et scientifique (l’importance des outils et du travail en atelier, l’accent porté sur l’intuition, l’expérimentation et le hasard), mais, surtout, elles perturbent la lecture linéaire de l’histoire des créations. En effet, un décalage temporel se forme entre les photos rejouant l’expérience de 1896 et l’établi, qui semble arriver tout droit du futur, accompagné d’une lettre datée de 1939 écrite par Albert Einstein faisant état d’une des applications possibles de la découverte de la radioactivité : les bombes nucléaires. De l’une aux autres, n’y a-t-il qu’un pas à franchir ? Relation de contingence ou de nécessité ? Ellipse temporelle ou contemporanéité logique des deux découvertes ?
Des perturbations temporelles et spatiales, sur un mode souvent ironique et fantasmagorique, sont également à l’œuvre chez Julien Tiberi. Il enchevêtre les références avec une conscience aigue de ce que cette démarche peut avoir de périlleux (à quel point celles-ci peuvent entraver la compréhension visuelle, déterminer le sens de l’œuvre, ou encore lui conférer, de l’extérieur, une certaine légitimité), sans jamais tomber dans ces écueils. Car ses œuvres ne se réduisent nullement aux différents éléments qui les composent, mais ouvrent un nouveau champ perceptif et conceptuel tout en nous offrant une lecture singulière de l’histoire de l’art en marge de l’histoire pompeuse, avec lucidité et ironie à la fois, et même parfois avec auto-ironie, à l’instar du dessin Le Panthéon.
Elodie Guida
Bettina Samson et Julien Tibéri – Stratos Fear. Jusqu’au 14/06 à la galerie RLBQ (41 rue du Tapis Vert, 1er).
Rens. (0)4 91 91 50 26 / www.rlbq.com
- C’est plus ou moins par hasard, en tentant de déterminer si la phosphorescence des sels d’uranium et les rayons X étaient de même nature, que Becquerel découvrit en 1896 la radioactivité. Il commence par exposer des sels d’uranium sur une plaque photographique à l’extérieur, au soleil. Suite à une série d’intempéries, il range ce matériel dans le noir, dans un tiroir de son bureau. C’est alors qu’il découvre que la plaque photo a été impressionnée, et du même coup, la radioactivité : l’émission spontanée (sans apport d’énergie extérieure) de radiation par une substance inerte.[↩]