Beyond Consciousness de Chiharu Shiota à la Chapelle de la Visitation

Beyond Consciousness de Chiharu Shiota

Aux fils, du temps

 

Il y a quelque chose de rassurant dans le travail de Chiharu Shiota, actuellement présenté dans trois espaces différents de la Biennale d’Aix. Rassurant par son approche qui, malgré son caractère impressionnant, reste ouverte et accessible. Mais aussi par le choix d’un nombre restreint de sujets universels — le corps, l’attachement, la présence ou l’absence, la mort — qui parlent au visiteur sans qu’il ait besoin de se plonger dans un de ces textes explicatifs alambiqués dont d’autres artistes contemporains ont le secret.

 

 

Née à Osaka, mais travaillant désormais à Berlin, Chiharu Shiota est surtout connue pour ses très grandes installations, faites de centaines de fils rouges simplement suspendus ou enchevêtrés de manière plus complexe, et portant en leur sein, comme en lévitation, divers objets du quotidien : robes, pages d’une livre, valises… Dans Collecting Feelings, à la Chapelle de la Visitation, ce sont ainsi des lettres de remerciement provenant de son entourage qui flottent dans un grand cube rouge. Le résultat est majestueux, les papiers semblant emportés par le vent et figés dans un instantané en trois dimensions, mais peut aussi devenir inquiétant, l’installation occupant quasiment tout le volume de la chapelle et ne laissant au visiteur, pour en faire le tour, que le chemin exigu que cette présence massive lui impose.

Ce besoin de marquer une présence s’exprime constamment dans le travail de Chiharu Shiota, comme une réponse, sans doute, à la menace de disparition qu’une santé fragile fait depuis longtemps peser sur elle. Ses cordages forment alors une attache sûre, durable dans le temps et dans l’espace, allant du tissu microscopiquement arrangé de nos cellules à celui, plus abstrait, qui nous lie les uns aux autres en un romantisme dépassant de loin la banalité des réseaux sociaux. Ailleurs, passant du rouge au noir, ces mêmes fils deviennent l’âme d’un gisant creux, reposant à terre, écho tranquille de l’élévation stellaire Athanor installée par Anselm Kiefer dans un escalier du Louvre.

Mais ce qui surprend, dans cette exposition aixoise, ce sont surtout les travaux de plus petit format tels Living Inside, présenté au Pavillon de Vendôme, où les fils rouges entourent et entrelacent un essaim de meubles pour maison de poupée, formant toutes sortes de petits salons posés sur un long socle blanc qu’ils dépassent pour grimper une partie du mur. Associés à des tirages photo, des assemblages en verre et quelques œuvres graphiques de taille plus raisonnable que les installations, ces éléments permettent d’approcher discrètement la pensée et le mode de travail plus personnels de l’artiste, où le rouge des fils se change en rouge sang soudainement brut, alors que les assemblages aléatoires d’objets translucides ficelés entre eux évoquent par contraste le bonheur d’une artiste libre et spontanée. La petite vidéo présentée au Musée des Tapisseries, au sortir d’un long tunnel arachnéen en toile de fils rouges, ne dit que ça, et c’est ce qui en somme résume le mieux le minimum vital absolu cher à Chiharu Shiota.

 

Pierre-Nicolas Bounakoff

 

Beyond Consciousness de Chiharu Shiota : jusqu’au 6/10 au Musée du Pavillon de Vendôme, au Musée des Tapisseries et à la Chapelle de la Visitation (Aix-en-Provence).

Rens. : www.biennale-aix.fr

Dans le cadre de la biennale d’Aix-en-Provence