Bigre © Pascal Pérennec

Bigre de Pierre Guillois au Théâtre du Gymnase

Bigre than life

 

Même si l’actualité ne nous y invite pas, le Théâtre du Gymnase nous convie à une explosion… de rire. Et ce grâce à Bigre de Pierre Guillois : trois chambres de bonnes, trois univers, du karaoké, des catastrophes en chaîne, des éclats de rire en série…

 

… Et le retour d’Olivier Martin Salvan, l’inoubliable Pantagruel qui illumina la saison dernière des Théâtres. Bigre, de et avec Pierre Guillois, Agathe L’Huillier et, donc, Olivier Martin Salvan, ou la preuve par trois de la force du tragi-comique. Il faut dire qu’Olivier et Pierre sont plus que complémentaires, ne serait-ce que physiquement… Après plusieurs réalisations menées ensemble, ils se lient tous deux d’une admiration et une confiance sans bornes. Le premier dit d’ailleurs du second qu’il est un grand auteur, qu’il a du génie et quelque chose de rare au niveau du rire. Pierre souligne quant à lui la performance d’acteur indiscutable d’Olivier, en précisant que sans lui, il n’aurait pas monté Bigre, ni joué dedans. Ils partagent la même conception engagée du théâtre, et se sont attaqué tous deux à la mise en scène d’Ubu. Olivier créera ainsi l’événement en décentralisant le In d’Avignon dans des salles périphériques et les prisons de la région, avec une version irrésistiblement déjantée et populaire de l’œuvre d’Alfred Jarry.
Mais plus que tout, ils se retrouvent dans leur goût pour la fantaisie, les défis et le plaisir de recherche. Pierre Guillois s’est ainsi forgé une réputation d’instigateur de genres divers : Le Gros, la vache et le mainate avec Olivier revisitait l’opérette et le vaudeville, lorsque Terrible Bivouac tendait vers le théâtre documentaire en prenant pour sujet la fondation du secourisme moderne, avec un peu de lyrique et une co-écriture avec une chanteuse bretonne… Alors qu’Olivier Martin Salvan, connu pour être au service de la langue et du patrimoine littéraire, défenseur des textes de Rabelais, de Novarina ou de Molière, se retrouve paradoxalement ici sans mots. Exercice complémentaire de son incursion dans la danse via son duo Religieuse à la fraise avec Kaoro Ito, dans le fait de mettre le corps au premier plan notamment.
Pierre Guillois aime donc le tragique, les histoires, l’absurde et même le trash sanguinolent. L’envie de créer Bigre est née du désir de construire un spectacle sans parole avec Olivier dans cet univers de petites chambres de bonnes. Exercice de style pseudo réaliste, la pièce explore ainsi une forme juste ébauchée dans ses précédentes créations, avec le rire comme arme. Et c’est très bien comme ça.

Marie Anezin

 

La parole à…
Pierre Guillois et Olivier Martin Salvan

 

La genèse

Pierre : Habituellement, le texte prend toujours tellement de place que je n’ai jamais celle de caser ces scènes, que je n’appellerais pas visuelles, mais des saynètes d’acteurs sans paroles. Là, en tant qu’auteur, je voulais faire du spectacle sans support de texte. Du coup, il y avait une obligation de burlesque. C’est une écriture de plateau faite à trois, avec Agathe et Olivier, résultat de notre jeu d’acteur, de nos improvisations.
Olivier : C’est parti d’un désir de développer quelque chose que l’on avait ébauché dans nos précédents spectacles communs : pour amplifier le personnage un peu nul, dans Le Ravissement d’Adèle, on a voulu développer les petits sketchs, la bêtise, le côté cabarettiste. Et pour Le Gros, la Vache et le Mainate, il était question de promouvoir la forme non parlée. Avec Pierre, c’est comme si nous faisions un zoom sur quelque chose que l’on a envie de développer, un désir de creuser un sillon en commun.

 

Une écriture tricéphale
Pierre :
Il a donc fallu tout écrire ensemble, ce qui n’est pas ma manière habituelle de faire. J’ai pris trois personnages et il fallait que nous les caractérisions. Nous sommes trois comédiens très différents…
Olivier : Oui, nous sommes vraiment les canons des films américains de burlesque, Laurel, Hardy et la belle pépée maladroite. Un trio presque comique en soi !

Pierre : Chacun a puisé dans ses expériences personnelles, comme par exemple d’avoir tous vécu en chambre de bonne… Je me suis aussi beaucoup inspiré de ma grand-mère, qui accumulait énormément, collectionnait tout, journaux, sacs plastiques, etc. Elle vivait au milieu d’un bazar extrêmement rangé quelque part, alors que moi, je ne suis pas du tout comme ça. Ensuite, nous avons trouvé en répétant… Les situations que nous tissions petit à petit ont élaboré nos personnages.

Olivier : Moi, je me suis inspiré d’un ami très maniaque, obsessionnel du rangement, qui a un appartement tout blanc et ne s’habille qu’en noir. Ce qui est beau dans ce spectacle, c’est de ne rien jouer tout en jouant tout. Etre du côté de l’orfèvrerie. Il est effectivement très intéressant de jouer sur des petites choses sans se raccrocher à un texte. Agathe, qui vient de chez Alain Françon et qui évolue donc au milieu des textes, a eu aussi ce désir d’aller très loin dans ce qu’elle savait faire.
Il y a le quatrième mur… Nous sommes dans l’introspection… Les gens sont un peu voyeurs.
Nous donnons l’impression d’inventer sur le moment, mais en fait, tout est réglé au millimètre, dans le plaisir du refaire. Le théâtre est une belle métaphore de la vie.

 

Le rire

Pierre : Bigre est un objet théâtral avec une obligation de résultat sur le rire. A partir du moment où on annonce un spectacle burlesque, si on ne fait pas rire, on ne remplit pas notre promesse. Cette question de la promesse est très importante. A nous de trouver les mécanismes, les enchaînements, les situations… qui feront que les gens riront beaucoup. Après, il ne faut pas faire rire sur n’importe quoi et dans n’importe quelles conditions. Nous sommes des gens de théâtre qui faisons normalement du texte, nous aimons raconter des histoires, des choses humaines complexes… C’est ce que nous avons essayé de faire malgré tout. Je dis malgré tout car c’est ce que nous avons fait à l’intérieur d’une forme avec beaucoup de catastrophes, de machineries, de manipulations d’objet, et donc sans support de texte. Avec ce postulat de départ, il faut que le spectateur ait beaucoup d’empathie pour le personnage afin que le rire soit profond, puissant, cruel… Quand nous rions de la souffrance de quelqu’un que l’on aime, nous rions de notre propre faiblesse, de nos propres peurs… Plus on arrivera à trouver un terrain humain un peu riche, un peu complexe en humanité et plus nous parviendrons à tirer un rire qui vient du tréfonds de l’être.
Olivier : Le rire est multiple. Ici, nous proposons un spectacle pseudo réaliste qui parle de l’amour, de l’isolement, du rire et de ce que tu peux déplacer dans le rire. En donnant à voir ces trois solitudes, le public est très touché et il éclate de rire. Un peu comme dans l’idée du cirque où les gens sont en apnée et après doivent expulser. Comme dit Pierre, nous échouons magnifiquement…
Le rire fait tomber la carapace et la tragédie est plus visible. Dans notre vie, on passe tout le temps par ses états du rire aux larmes ; Topor parle du rire de résistance, Rabelais du rire médecin. Le rire a une puissance. Il faut se le réapproprier, surtout en ce moment. Ce spectacle est un piège à grand public, c’est ce qui est intéressant, comme pour Ubu. Les spectateurs pensent qu’ils vont juste rire un bon coup, mais en fait, étrangement, ce qui les charme le plus, ce sont la poésie et la mélancolie qui s’en dégagent. Le public aime très vite ces personnages qui sont un peu minables, qui ratent leur vie privée, mais sont essentiellement, extrêmement humains. Ce qui prouve que l’on peut se divertir en réfléchissant, en revoyant sa vie d’un trait en sortant de la salle, en méditant dessus, avec la possibilité d’en parler. Et, tout simplement, le rire remet le compteur à zéro en te faisant du bien.
Je rends hommage au Quartz et au théâtre public car en tant que coproducteurs, ils ont énormément investi dans ce spectacle. La Scène Nationale de Brest contribue ainsi à dépasser le cliché restrictif selon lequel le théâtre serait l’endroit de l’ennui. Alors qu’il est tout le contraire, il est un lieu d’utopie, où tu peux te retrouver, le lieu encore possible — enfin, je l’espère — d’une communion.
Le rire dans le théâtre public est un peu le diable. Or, le rire n’est pas sale, nous oublions trop souvent qu’il est présent chez les grands auteurs comme Tchekhov ou Shakespeare…

 

Le quatrième élément

Vu dans l’Ubu d’Olivier, l’acteur Robin Causse est l’indissociable assistant artistique. Multi casquette, il a été successivement œil extérieur au fil du travail de répétitions et d’improvisations, régisseur son dès qu’il a fallu travailler sur des musiques, des bruitages et des sons en raison de l’absence de texte, puis accessoiriste au vu de ce décor bourré de trouvailles, de gags à installer.
« Au début, j’étais assistant à la mise en scène. C’est un spectacle très artisanal. J’ai adoré cela, que nous inventions tout, que nous fabriquions tout. Bien qu’étant acteur, avec un ego d’acteur, ce métier d’assistant est complémentaire et permet de découvrir tous les corps de métiers, les étapes de création. Comme nous sommes une équipe très soudée, très familiale, nous avons vécu une sorte de collectif. On découvre un autre vocabulaire, qui rendra la compréhension plus facile lors de futures créations. J’ai quand même un petit rôle à la fin. »

 

La fidélité, moteur de renouveau

Pierre : Je fonctionne avec des grandes fidélités, parfois depuis vingt ans. Une famille très élargie dans laquelle j’aime inviter des nouveaux acteurs car j’adore rencontrer des gens ; faire un mélange entre les anciens et de nouvelles connaissances, c’est très important. Avec Olivier, nous nous connaissons depuis longtemps, nous avons déjà travaillé ensemble. Quant à Agathe, c’est le deuxième projet que nous faisons ensemble.
Olivier : Moi, mes fidélités c’est Novarina, Benjamin Lazar et Pierre ! Une incroyable opportunité que j’ai eue depuis une dizaine d’années.

 

Le théâtre pour tous

Pierre : Il n’y a pas tellement d’endroits où on fait écho aux attentats, mais ce que nous avons remarqué lors des deux représentations que nous avons jouées après le 13 novembre, ce sont les rires un peu hystériques, un besoin de rire, une espèce de décharge.
Il faut que le théâtre soit là tout le temps… Nous avons du boulot, nous les artistes, car le théâtre ne s’adresse pas beaucoup aux gens qui ont le plus de problèmes. Nous invitons les spectateurs à rester à la fin de la représentation. Si vous avez le temps de nous attendre, nous seront ravis de discuter avec vous, comme ça, de façon inattendue, ce qui m’intéresse davantage que les rencontres organisées, plus froides, anonymes. Il faudrait recruter les futurs spectateurs dans les bars, les marchés…
Olivier : Que faisons-nous aujourd’hui de cette décentralisation, nous, jeunes artistes de ma génération ? Est-ce qu’on part en tournée, on dort à l’hôtel, on se réveille pour aller jouer et on se couche ? Non, il faut vraiment bouger quelque chose… Je sens que chez beaucoup d’artistes de mon âge, cette préoccupation-là est centrale, voire nécessaire…
Artisan et infirmière à domicile, mes parents font des métiers de rencontre, je suis issu d’une famille d’humanisme et c’est grâce à eux que je suis devenu cette personne assoiffée d’humanité, donc pour moi, le spectacle est raté si je n’ai pas ouvert un dialogue avec le public. Après Bigre, nous avons envie de fouiller la partie chantée avec Pierre. Il affirme que j’ai un talent de cabarettiste à creuser… Bigre est ainsi une première étape. Je rajoute donc une corde à mon arc et à la fin, j’aurai une harpe.

Propos recueillis par Marie Anezin

 

Bigre : jusqu’au 28/11 au Théâtre du Gymnase (4 rue du Théâtre Français, 1er).
Rens. : 08 2013 2013 / www.lestheatres.net