Bilan : les 10 films de l'année
Les Climats (Turquie – 1h37) de Nuri Blige Ceylan
Un couple, une séparation… Sur une trame éculée, Nuri Blige Ceylan tisse, sans pathos ni artifices, un récit d’une incroyable justesse. On effleure des vérités plus qu’on ne les dévoile, la subtilité tient ici à la force évocatrice des images. Si les personnages apparaissent dans le même cadre, ils ne sont jamais vraiment ensemble ; rarement la profondeur de champ n’avait été utilisée avec autant d’intelligence. L’histoire est triste, le film sublime, à l’image de certaines de nos amours perdues…
La graine et le mulet (France – 2h31) d’Abdellatif Kechiche
LE choc de l’année ! Il faut du génie pour pouvoir retranscrire avec autant de justesse et d’intensité ces tranches de vie, cette histoire de famille et de couple sur fond de sinistre économique. Les dialogues fusent, la caméra virevolte, on vit autant le film qu’on le voit. Et que dire des actrices, notamment d’Hafsia Herzi, dont la fulgurance et la beauté annihilent tout ce qu’on croyait connaître des femmes au cinéma. Ce film est une des plus belles propositions du cinéma français contemporain.
Still life (Chine – 1h48) de Zia Zhang-Ke
Jia Zhang-Ke réussit une nouvelle fois à mêler dans un même espace cinématographique souffrances individuelles et destin collectif, vision politique et écriture poétique, tradition et modernité de la société chinoise. Comme la photographie immobilise une réalité pour mieux la cerner, son cinéma tente de définir un instant présent, qui n’est déjà plus que du passé au moment où il est capté : c’est vain et c’est beau. Au milieu des ruines, ne restent que les souvenirs…
Les Promesses de l’ombre (USA – 1h45) de David Cronenberg
Confirmation en forme de prolongement, Les Promesses de l’ombre vaut beaucoup mieux que son titre. Cette variation autour du triangle famille/thriller/effraction est aussi monumentale que le précédent opus de Cronenberg, A History of Violence. Imprégné d’une écriture sèche, porté par un Viggo Mortensen habité et jalonné de scènes déjà culte — le combat dans un hammam —, les Promesses de l’Ombre dresse le portrait morbide d’une humanité repliée sur ses rites et ses peurs. Simplement magistral.
Paranoid Park (USA -1h25) de Gus van Sant
Quatrième jalon de l’entreprise cinématographique élaborée par Gus Van Sant depuis Gerry, Paranoid Park en constitue à la fois l’aboutissement parfait et le subtil dépassement. Elégie aquatique du skateboard, percée musicale dans l’univers adolescent et expérimentation formelle orchestrée par l’ex-chef opérateur de Wong Kar-waï, Paranoid Park séduit surtout par sa capacité à renouveler une œuvre tout en l’approfondissant. Pour ceux qui en doutaient encore : Gus Van Sant est un grand cinéaste.
La Nuit nous appartient (USA – 1h45) de James Gray
James Gray avait bluffé une bonne partie de la rédaction avec Little Odessa et The Yards. Sans tutoyer les mêmes sommets, La Nuit nous appartient constitue un petit bijou de cinéma opératique. Une tragédie néo-classique qui embrasse en un même geste Le Parrain de Coppola et Nos Funérailles de Ferrara. Mais surtout un film scandé par de vrais moments de grâce qui élabore avec minutie la chute majestueuse d’un ordre ancien. Largement de quoi faire oublier les quelques longueurs du dénouement.
Très bien merci ( France – 1h40) d’Emmanuelle Cuau
Ce qu’il y a de fort, et de fort triste, dans ce film, c’est son côté réaliste, contemporain, le genre d’histoire qui pourrait arriver à tout le monde, à vous, à moi… L’enchaînement de faits aussi anodins qu’absurdes nous entraîne dans une spirale narrative implacable. Sous les apparences d’une gentille comédie se cache un film sérieux, voire inquiétant, qui représente une superbe proposition de cinéma politique. Enfin un film réjouissant sur une époque bien triste.
Zodiac (USA – 2h22) de David Fincher
Longtemps, David Fincher a incarné l’éternel espoir déçu du cinéma américain, empêtré dans de vains exercices de style. C’est dire l’émerveillement que produit Zodiac, film brillant, débarrassé de tout arsenal idéologique et occupé à montrer ce qui échappe inéluctablement à la fiction — les images, leur sens. Un changement de perspective surprenant autant que passionnant, servi par une distribution d’une rare justesse (Gyllenhal, Downey Jr., Ruffalo). Et si Fincher avait (enfin) franchi un/le cap ?
Les chansons d’amour (France – 1h40) de Christophe Honoré
Bien plus qu’un hommage réussi à la Nouvelle vague, ce film, d’une étourdissante beauté, est un véritable chant de poésie fugitive. On y chante l’amour et le sexe avec une spontanéité contagieuse dans un Paris nocturne et populaire qui n’avait que rarement été filmé avec autant de grâce et de justesse. Les dialogues sont vifs, le récit enjoué, et Louis Garrel toujours aussi irrésistible. Au jeu périlleux de la comédie musicale, Christophe Honoré rivalise d’inventivité avec ses glorieux aînés.
Naissance des pieuvres (France – 1h25) de Céline Sciamma
Fraîche émoulue de la Femis, Céline Sciamma a tout simplement réalisé le meilleur « premier film » français de l’année. Au-delà d’une impressionnante maîtrise du cadre, du rythme et de la direction d’acteurs, le film décline méthodiquement les fluides — bains, douches, taches de sang, crachats d’eau puis de salive — et évoque, dans sa façon de parler de désirs triangulaires sur fond de discipline sportive, Douches froides d’Anthony Cordier. Un ciné-moment de spasme, avec une distance et un détachement troublants, à l’instar de la renversante Adèle Haenel.