Cie L’Entreprise – Une île (Janvier-mars à la Friche. Programmation : Théâtre Massalia)
Dans un espace-temps aux contours indéfinis, quatre personnages, naufragés « depuis le départ de la jeune femme » vont explorer un « ailleurs » silencieux — métaphore de la mort, mais pas seulement… Sur le thème évocateur de l’île, François Cervantès nous entraîne dans un univers onirique, admirablement servi par les masques, les acteurs et la fabuleuse mise en corps et en mots du texte de l’auteur-metteur en scène. Au final, une troublante perte de repères, via une écriture toujours en voyage.
Philippe Caubère – La ficelle & La mort d’Avignon (Janvier à la Minoterie et octobre au Théâtre du Jeu de Paume)
Ultimes volets de la saga autobiographique L’homme qui danse, La ficelle et La mort d’Avignon proposent une visite jubilatoire des coulisses du théâtre et du festival d’Avignon, où le « Molière de la Fare les Oliviers » s’en donne à cœur joie : les personnages — Georges Wilson, Jean Vilar, mais aussi De Gaulle, Mauriac, Sartre, sans oublier cette « vieille murène » d’Ariane Mouchkine — pullulent, envahissent la scène et s’incarnent dans un barnum foisonnant. Une truculente et succulente révérence.
Cie Lalage – Je voudrais être légère d’Elfriede Jelinek (Février aux Bernardines)
Avec cette création, la compagnie Lalage réussit à faire théâtre d’un manifeste qui condamne le mimétisme théâtral, dénonce l’inutilité de l’acteur et prône la « vraie vie » contre la sublimation artistique. En réponse aux condamnations du texte, Carol Vanni danse avec grâce et ironie les mots de plomb de Jelinek et Elisabetta Sbiroli lui souffle le texte et manipule une marionnette. Elles parviennent à remplir de leurs présences légères mais fines de sens ce texte sur la vacuité du personnage.
Cie Le Souffle – Avant-première (Mars au Gymnase)
Original dans sa construction, complexe dans sa logistique, ce spectacle jeune public fait l’unanimité. Guidé par des comédiens très dynamiques, le public va accomplir tout le travail d’une troupe, créer les costumes, s’impliquer dans la mise en scène et la communication… Peu à peu, l’ensemble prend forme et Le Songe d’une nuit d’été peut avoir lieu sous les yeux du mystérieux directeur du théâtre. Généreuse surprise, Avant-première confirme qu’un divertissement peut être pédagogique et ingénieux.
Pippo Delboo – Questo Buio Force (Mars au Merlan)
Après Eros (La Rabbia), Pippo Delbono évoque Thanatos avec maestria. Questo Buio Feroce raconte l’approche allégorique de la mort par un homme atteint du sida : le rêve d’une vie, l’équilibre délicat du silence envahissant, la douleur des regrets… La liberté aussi, la force de la liberté, l’envie d’écrire son nom partout. Les images remarquables (acteurs « cabossés », interprétation désarmante de My Way…) transcendent une scène immaculée devenue l’espace d’un instant le monde essentiel. Brillant.
Alexandre Pavlata – Francky O Right is dead (Juin au Daki Ling)
Francky O Right, c’est Las Vegas en un seul homme : les paillettes, la magie, le jeu, la musique, les femmes, la corruption, le racket, la drogue… Sur scène, Francky mime, chante, danse, jongle, s’envoie en l’air, s’écrase au sol ou s’éclate contre les murs. Dans la langue de Sinatra, avec le swing de Gene Kelly, Francky nous invite à découvrir son univers survitaminé digne de Tarantino. Côté humour, la panoplie est complète : cynisme, moquerie, gag, finesse ou autodérision. Un régal déjanté !
Societas Raffaello Sanzio – Inferno, Purgatorio et Paradisio (Juillet au Festival d’Avignon)
Cette œuvre dantesque a soulevé moult controverses et prises de conscience à Avignon. En plaçant le public lui-même dans l’Enfer grâce à des lettres lumineuses inversées, recouvrant les gradins d’un immense voile blanc comme un linceul, Romeo Castellucci a réalisé un coup de génie ! Quant au Purgatoire, il fut d’une force aussi grande que celle du drame de l’enfance, imposé dans sa sourde horreur. Au final, un Au-delà particulièrement vil, particulièrement humain, particulièrement beau.
Festival ActOral (Septembre à Marseille)
Exploitant le champ des possibles de l’écriture donnée à voir, la septième édition d’ActOral s’est révélée d’une tonalité joyeuse, faisant éclore et s’épanouir des écritures étranges et bouleversantes de finesse, sans tomber dans une cérébralité excessive. Etoilée dans l’espace et dans le temps, la programmation poussait le festivalier curieux à évoluer entre divers lieux. Sans créer de morosité née du deuil de ne pouvoir assister à tout, le désir naissait, le désir de savoir, d’essayer, de connaître.
Théâtre Nono – Le labyrinthe (Octobre au Théâtre Nono)
Dans le dédale d’énigmes proposé par le Théâtre Nono, des personnages baroques et décalés, d’une sensualité incroyable, surprennent les égarés que nous sommes. Puisant dans les univers picturaux de Dali et Barney, la scénographie imaginée par Serge Noyelle et Stéphanie Vareillaud nous propose apparitions et visions jusqu’à l’hallucination. Plongés dans ce labyrinthe borgésien, perdus dans une dimension de doute et de plaisir, on redécouvre, comme dans un rêve éveillé, un nous-même enfoui. Troublant.
Guy Cassier – Mefisto For Ever (Novembre au Théâtre des Salins)
Œuvre, gigantesque, complexe et subtile, Mefisto For Ever aborde de front la question essentielle de la défense des idéologies humanistes, culturelles et libertaires quand l’humanité sombre dans ce qu’elle de moins humain — en l’occurrence, le nazisme. En mont(r)ant cette pièce aujourd’hui, avec autant d’intelligence et de conviction, alors que le contexte actuel flirte périlleusement avec les idées fascistes éprouvées dans les années 30/40, Cassier donne une leçon magistrale à tous les niveaux.