Danse gâchée dans l’herbe de César Vayssié. Chorégraphie de Boris Charmatz

Boris Charmatz – Danses gâchées dans l’herbe au Frac Sud

Nu dans la foule

 

Le Frac Sud invite le chorégraphe Boris Charmatz pour une exposition, sous le commissariat de Muriel Enjalran, où la danse devient un objet filmé et se confronte à la question de la peinture et de l’espace public.

 

 

La danse filmée, c’est une recherche de tout temps. Comment retranscrire le mouvement ? Comment garder l’intimité d’une œuvre à travers le prisme de l’écran ? Buster Keaton et Charlie Chaplin ont grandement contribué à la question du corps dans l’espace en tant qu’objet filmé. Ils ont transcendé la lourdeur d’un dispositif (la caméra, les lumières, la technique) pour emmener le cinéma vers la légèreté d’un corps menu qui défie les lois de la gravité et dessine des trajectoires millimétrées. Le cinéma de Chaplin n’est pas seulement le déroulé d’une dramaturgie, il est avant tout l’expression d’un être désarticulé, souple, agile et tourmenté au service d’une manière de dire « je » et de questionner le monde dans sa noirceur et ses absurdités. Chez Boris Charmatz, la question centrale de la danse est un décloisonnement de la fonction dans un musée imaginaire, où le corps devient peinture, figurant, soliste, dedans et dehors. Le préjugé du pas compté disparaît au profit d’une expression libre et en apparence spontanée. L’esquisse d’une dramaturgie existe dans la tension entre le corps, la lumière, le montage et le son, mais tout devient très disparate pour mieux rentrer dans l’intimité d’un duo (Étrangler le temps, 2021) ou d’un faune au milieu des herbes (Danse gâchée dans l’herbe, 2023).

« Ce qui est pour l’œil ne doit pas faire double emploi avec ce qui est pour l’oreille. » Par ces mots dans Notes sur le cinématographe, Robert Bresson tente une épure du cinéma pour révéler la délicatesse d’un geste et l’intention qui le relie au plan d’après. On peut parler de dissonance par la disparition du lipping (le raccord entre le mouvement des lèvres et le son de la voix). Ce qui se dit est hors-champ de ce qui se montre et agrandit de fait l’espace de l’imaginaire. On rentre dans une nouvelle dimension qui recèle une infinité de sens. Dans 10 000 gestes, une pièce pour vingt-trois danseurs présentée dans les jardins du Mucem en 2018, Boris Charmatz explorait le geste éphémère qu’on ne reverra plus, le geste avant le geste, le geste qui côtoie un autre geste. Dans ces combinaisons infinies, les êtres déambulent à travers l’espace et deviennent les acteurs d’un nouveau monde. Les repères volent en éclats et l’éphémère devient un souvenir permanent. C’est ce que l’on retient du film Levée (2014), où les conditions du tournage deviennent le centre de la dramaturgie. Des êtres multicolores esquissant une infinité de gestes sont happés dans un rideau de poussières qui blanchit les peaux à la manière d’une brosse recouvrant le tableau d’un glacis translucide. La nature artificielle recouvre l’objet de la danse et l’emporte dans un objet de cinéma qui convoque Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni. Là, où au milieu des dunes d’un grand canyon, des corps dévalent la pente, s’enroulent et font l’amour ensevelis par la poussière d’un sable millénaire. Le travail de Boris Charmatz est une œuvre au long cours où le danseur agile refuse le synchronisme. La danse contemporaine file vers l’inconnu, elle côtoie le cinéma dans l’irrespect du plan de travail. Elle frôle la peinture dans le halo des corps. Elle épouse l’abstraction dans des combinaisons aléatoires.

 

Karim Grandi Baupain

 

Boris Charmatz – Danses gâchées dans l’herbe : jusqu’au 24/03 au Frac Sud – Cité de l’art contemporain (20 boulevard de Dunkerque, 2e).

Rens. : www.fracsud.org