ÇA CHAUFFE ! Les Sentinelles

Veille sur la ville

 

La mobilisation inouïe contre la « subvention Guetta » aura finalement eu raison d’elle : à la demande du Dj, le concert à Borély a été reporté in extremis au Dôme. Affaire réglée ? Non : une deuxième polémique fait réagir les Marseillais, à l’initiative du même groupe de réflexion citoyen. Comment est-on passé du « Commando » aux « Sentinelles » ? La Fête de la Musique est-elle réellement gratuite, et soluble dans la culture ? Réponses ci-dessous.

De ce début d’année 2013 à Marseille, l’histoire aurait dû retenir le grand week-end d’ouverture de la Capitale européenne de la Culture. Les Marseillais avaient répondu présent ; les instigateurs de l’événement, a posteriori un peu moins. Mais dans les faits, c’est une « affaire » beaucoup moins glorieuse qui est venue s’immiscer, peu de temps après, dans le champ public, médiatique, et enfin politique. Cette histoire, nous l’avons racontée en temps voulu, il semblerait donc presque inutile, aujourd’hui, de revenir dessus. Et pourtant… Il s’en est passé, des choses, en à peine deux mois. Des choses qui ne relèvent pas simplement du rapport que chacun peut entretenir avec la culture, mais plus largement de l’intérêt général.

Réveil citoyen
Au centre de « l’affaire Guetta », une municipalité en demande de suffrages, un producteur en demande de jackpot et des contribuables en demande de comptes. Perdu au milieu du déluge, pour ne pas dire totalement dépassé, un artiste aussi populaire que décrié qui a observé de loin la polémique enfler, les camps politiques se positionner, les signataires de la pétition se multiplier, avant de se décider — enfin ! — à prendre tout le monde de court en se retirant officiellement du bousin (mieux valait pour son image). Exit le concert au Parc Borély, exit la polémique, exit la délibération et les responsabilités attendues lors du conseil municipal du 25 mars. En un sens, l’affaire aurait pu en rester là… Mais voilà, 70 000 personnes mécontentes ont eu raison d’une décision totalement symptomatique de la façon avec laquelle les autorités en place gèrent notre territoire, notre patrimoine, notre argent. Trois fois plus, finalement, que celles qui étaient « espérées » dans les jardins du Parc : ça pèse. Du côté de la mairie, il aurait donc fallu prendre acte de la montée en puissance d’une nouvelle forme de contestation. Il n’en a rien été, bien au contraire, la municipalité, inflexible, déplorant la décision de Guetta dans un communiqué où elle fustigeait la mobilisation populaire. Et se gardant bien d’expliquer ce qu’il adviendrait des 400 000 euros promis à l’origine à Adam Concert… Du côté du « Commando », dont l’action devait s’en tenir là initialement, il a fallu structurer une organisation soudain victime de son succès. Et profiter de ce réveil citoyen pour réinvestir le débat public… Est-ce le hasard ? Ou ne peut-il y avoir de hasard dans un jeu tronqué depuis bien trop longtemps ? Toujours est-il qu’à la première polémique en a très vite succédé une deuxième, autour d’une autre subvention, allouée cette fois-ci à l’occasion de la Fête de la Musique.

D’une polémique à l’autre
Cette année, la première chaîne TV de service public a choisi Marseille pour célébrer la Fête de la Musique, et plus précisément le Quai de la Fraternité sur le Vieux Port, d’où elle retransmettra un programme diffusé comme il se doit en prime time. Une « aubaine » en termes de rayonnement pour Marseille, comme se plaît à répéter Monsieur le Maire. D’ailleurs, Marseille Provence 2013 a labellisé l’événement de longue date, un événement généralement financé à 100% par France Télévision… Oublions un instant les chiffres, et concentrons-nous sur l’essentiel. Chacun connaît la nature de la nouvelle polémique : la boîte de production (privée) qui organise cet événement (sous la tutelle de France 2) est allée demander des subventions aux collectivités locales. Si la Région et le Département ont dit non (pour l’instant), la Mairie et la Communauté Urbaine ont déjà dit oui. Il y a effectivement ici comme un air de déjà-vu : de l’argent public réquisitionné au profit d’une entreprise privée, qui plus est sans que celle-ci n’en ait besoin pour financer son projet, le pouvoir en place qui entérine pour en tirer quelque bénéfice à terme, une opposition qui tente la récupération sans réellement donner l’impression de se mouiller et, en bout de chaîne, des contribuables de tous horizons qui manifestent online leur mécontentement. Mais l’affaire est peut-être plus grave encore que la précédente : la convention signée entre Degel Prod’ et la ville de Marseille prévoit en effet la diffusion d’images fournies par le service communication de cette dernière. Autrement dit, le CSA — que Patrick Menucci a annoncé avoir saisi — pourrait très bien sanctionner France 2 pour « atteinte à l’indépendance éditoriale d’un média ». Pour ne pas dire publicité déguisée…
Du côté de la mairie, un contre-argumentaire s’est déjà mis en place : il ne s’agit plus d’un événement privé (mais public), payant (mais gratuit), localisé (mais diffusé nationalement). Et donc ? En quoi les Marseillais, qui financent en partie cette Fête de la Musique via la redevance TV, devraient-ils une deuxième fois être mis à contribution, quand de surcroît les précédentes villes en charge dudit événement n’ont jamais eu à faire ce geste, autrement que par un apport en matériel et logistique ?
Parce qu’il ne faut pas se tromper de combat, le « Commando anti-23 juin » ne s’est pas mué en un « Commando anti-21 juin » : la Fête de la Musique fera bien le plein sur le Vieux Port, et libre à chacun de ne pas mélanger les torchons et les serviettes, ou de les faire tourner (c’est selon). Non : le « groupe de réflexion et d’action citoyenne » entend désormais inscrire son travail dans la durée, sous un intitulé beaucoup plus à propos — les « Sentinelles ».

Nouveau cap
Loin d’être anecdotique, l’apparition spontanée de ce mouvement citoyen, marquée par une étonnante résonance avec la disparition de Stéphane Hessel au même moment, traduit un fossé de plus en plus béant entre le « bon peuple » marseillais et les pouvoirs qui le gouvernent. Lors du dernier conseil municipal du 25 mars, que nous avons été nombreux à suivre en direct et en streaming, il n’a finalement jamais été question de changer de cap, de s’essayer à un dialogue constructif, de prendre en considération la parole de chacun, ses idées, ses attentes, et même ses colères. Pourtant, on ne peut pas dire que nos élus n’aient pas été prévenus — ils seraient regardés. Il est assez incroyable de se dire que les citoyens en sont aujourd’hui réduits, dans cette ville, à surveiller le travail de leurs représentants, ou en d’autres termes, à faire par eux-mêmes ce que l’on devrait faire pour eux. A l’issue de la joute qui a opposé chacun des deux camps au sujet de l’attribution de cette deuxième subvention controversée, il y a eu cette phrase de monsieur le Maire : « Oh putain ! Qu’ils sont mauvais… » Voilà qui résume, un peu tristement, la nature des débats. Marseille peut-elle continuer à renvoyer cette image de ville divisée, partisane, grossière dans le trait, campée sur ses egos, à l’instant même où elle tient une chance inespérée de renouer avec sa grandeur ? N’y a-t-il pas, en fin de compte, d’autres chemins à emprunter pour que cette ville protéiforme, rebelle, vivante, retrouve un port de tête ?

PLX (avec CC)

Pour signer la pétition « Pour que la Fête de la Musique soit plus drôle », on clique !