Quichotte
_D’après Cerventès par Laurence Janner
Trois clowns se disputent le droit de raconter une histoire de chevalier : le premier veut raconter celle de Lancelot du Lac, le second celle d’Ivanhoé et le troisième celle de Don Quichotte. L’histoire choisie, ils veulent tous jouer le rôle prodigieux de Don Quichotte. Les rôles enfin distribués, la grande aventure peut commencer pour Don Quichotte et Sancho. Pour adapter le roman culte de Cerventès, Laurence Janner a choisi de privilégier les moments les plus célèbres de l’œuvre, comme le combat contre les moulins, les mésaventures de Sancho ou encore la rencontre avec la belle Dulcinée. Si la truculence du jeu des comédiens — Janner en tête, épaulée par Olivier Chevillon et Magali Bazart — et la relecture « enfantine » font merveille, la force du spectacle réside également dans sa mise en forme originale : le décor tournant, animé par les acteurs, donne à la pièce toute la magie du théâtre. Les enfants ainsi sollicités peuvent voyager à travers l’Espagne en compagnie de ces héros mythiques…
_Mercredi et samedi au Badaboum Théâtre
La dernière bande / Krapp’s Last Tape
_De Samuel Beckett, par les Cies Lanicolacheur & King’s Fountain
Dans une turne obscure, Krapp, vieux clown intellectuel et mangeur de bananes, fouille les archives poussiéreuses de sa vie en manipulant un magnétophone. Comme chaque année depuis quarante ans, le vieux raté enregistre le jour de son anniversaire ses réflexions de l’année écoulée. Le constat est amer : échec professionnel en tant qu’écrivain, échec personnel pour avoir sacrifié l’amour au profit de sa vocation. Au fil des années, il s’est enfoncé dans l’obscurité d’une existence minable et vaine. Désormais incapable d’écrire et de dire, il réécoute la bande enregistrée le jour de ses 39 ans — l’année de la révélation, du choix et du sacrifice. Cette écoute semble constituer son seul bonheur actuel et le moyen pavlovien de rendre accessible le souvenir de sa vie sentimentale… Mis en scène par Xavier Marchand et joué par Henry Pillsbury, Krapp, ce grand histrion beckettien éprouve le temps, sa mémoire et l’oubli, et progresse en équilibre entre grotesque et profondeur. Bouleversant.
_Jusqu’au 2/02 au Théâtre de Lenche
Ruy Blas
_De Victor Hugo par la Cie Chatôt-Vouyoucas
Une période trouble, une génération désenchantée, une police omniprésente, des révolutionnaires impuissants, des gouvernants corrompus par le pouvoir et dévorés par l’ambition, un ministre de l’Intérieur tout puissant, cynique et haineux… Si elle figure avant tout le drame romantique par excellence — avec en son centre, l’intrigue amoureuse, évidemment impossible —, la pièce d’Hugo, écrite il y a plus d’un siècle et demi, résonne dans l’actualité avec une force toute particulière. Ce qui permet de comprendre la « nécessité » évoquée par Françoise Chatôt pour justifier son adaptation de Ruy Blas. Une adaptation que la directrice du Gyptis a soignée jusque dans les moindres détails, mettant en avant le côté sombre de la pièce : mise en scène simple, sans effets de style superflus, jeu d’acteurs mettant en valeur la langue subtile d’Hugo, décor sobre, presque inexistant, comme pour mieux donner du relief au drame qui se joue, musique, costumes et lumières à l’avenant. Bref, une réalisation en tous points remarquable.
_Jusqu’au 2/02 au Gyptis
Une île
_De François Cervantes par la Cie L’Entreprise
Fruit d’une recherche sur le théâtre de masques débutée en 1992 avec le sculpteur de masques Didier Mouturat, la dernière création de l’Entreprise est un périple vers un territoire de légende habité par douze personnages vivant « les bribes d’une histoire commune ». Il y a là le Kamikaze, courageux jusqu’à l’excès, prêt à tout pour la communauté ; le Commerçant, blasé et incrédule ; l’Adolescente rêveuse et ses parents, l’Architecte, pragmatique, et la Mère, figure centrale par excellence ; la Beauté, sexuelle en diable ; le Sage, vivant et sensible ; le Joueur, un peu perdu dans sa quête effrénée du plaisir ; le Veilleur, lunaire ; le Vieux, moribond ; le Fou, qui échappe à tout et à tous, et enfin le Voleur, l’anarchiste en marge de la société. Au travers de ces douze êtres — incarnés par cinq acteurs — que tout semble séparer se dessine l’histoire de l’île. Au final, une mystérieuse polyphonie orchestrée de main de maître par François Cervantès, un événement dont on vous reparlera très prochainement.
_Jusqu’au 15/03 au Théâtre Massalia