ça planche n° 185

ça planche n° 185

La Barbe-Bleue d’après Charles Perrault et Béla Bélasz, par le Badaboum Théâtre
Les Histoires manipulées de l’Institut Bancal par l’Institut Bancal
Kafka, comédie de Franzobel, par le Théâtre de Ajmer
Ruy Blas de Victor Hugo, par la Cie Chatôt-Vouyoucas
Nous sommes tous des Papous par le Théâtre de la Mezzanine

La Barbe-Bleue
_D’après Charles Perrault et Béla Bélasz, par le Badaboum Théâtre
Il a la barbe bleue, et c’est sûrement signe de quelque chose… Mais de quoi ? Assassin de femmes, violent et secret, la Barbe-Bleue est certainement l’un des personnages les plus sombres des contes traditionnels. Pour son adaptation, le Badaboum Théâtre a choisi de s’inspirer de deux versions du conte : celle de Charles Perrault, bien connue, et celle du livret de Bela Balasz, moins inquiétante et plus poétique. A travers la mise en scène de Laurence Janner, les enfants sont ainsi invités à suivre l’intimité du couple formé par la Barbe-Bleue et sa jeune épouse : en clair, à jeter un coup d’œil indiscret du côté de la vie des parents, comme à travers le trou d’une serrure… Qu’est-ce qui fonde l’entente d’un couple ? Qu’est-ce qui peut la menacer, la faire basculer dans l’affrontement ? La vie commune peut-elle remettre en cause le droit de chacun à garder sa part d’ombre et de mystère ? Tout en nuances, ponctué de séquences vidéo évocatrices, le spectacle se déroule comme un voyage au cœur des relations humaines, où se côtoient les aspirations les plus pures et les actes les plus cruels.
_ Jusqu’au 31 au Badaboum Théâtre

Les Histoires manipulées de l’Institut Bancal
_Par l’Institut Bancal
Le temps des vaches maigres, rationnées — quelques tickets-spectacles par an — est terminé. Faute de suffisamment d’intermittents sous contrat, la dernière édition du festival Art, Alcoolisme, Putréfaction et Porno-philatélisme n’a jamais pris fin. Sans porte de sortie, les OVNI sont restés et la fête du slip, c’est désormais toute l’année. Pour exemple, la programmation des sept soirées à venir. Continuant sur la perspective de la semaine passée, l’Embobineuse double la mise en présentant un spectacle de marionnettes déjanté, Les histoires manipulées de l’Institut Bancal, justifiant ainsi son surtitre de « Théâtre de fortune grand guignolesque ». L’antre de la Belle de Mai accompagne ce show « cabarock » d’une pointe d’exotisme avec la présence de Motherfakir, l’homme qui se fait mal, sans chichi mais avec classe. En préférant l’assortiment judicieux au catalogue exhaustif (type « soirée marionnettes »), le rendez-vous sera complet avec la première venue à Marseille de Pusse, génial groupe moyenajo-grandilo-foutraque dont l’écoute des chansons — françaises, Monsieur !! — sur Myspace devrait provoquer l’hystérie collective. « Bouillon de culture », diront les étroits. « Recette explosive », corrigeront les présents.
_ Du 28/03 au 6/04 à l’Embobineuse

Kafka, comédie
_De Franzobel, par le Théâtre de Ajmer
Du théâtre sauvage, sans concession. Du théâtre qui fait crier, qui résonne dans les têtes. Des comédiens qui jouent aux chirurgiens et enfoncent des suppos dans le cul des spectateurs. Kafka, comédie est une serpillière qui étale les raclures les plus purulentes de l’être humain. Kafka, figure involontairement mythique du malaise occidental, s’apprête à se marier. Pour sa famille, cette union signifie que l’auteur du Procès est encore un peu accessible, rattaché au monde aliénant qu’elle défend. Mais lui est déjà en dehors, déjà mort en dedans… Kafka, comédie est une escalade vers la folie absolue. A l’image de son sujet, appuyé par une mise en scène audacieuse, interprété par des acteurs en roue libre, ce plaidoyer en faveur des monstres assume parfaitement son rôle jusqu’au-boutiste. Certains hurleront à l’imposture, d’autres s’échapperont même avant la fin, gagnés par la nausée… D’autres enfin auront le sentiment de trouver dans cette œuvre au romantisme moderne, du réconfort… Le réconfort de savoir que des artistes, des Hommes crachent encore sur les consensus.
_Du 28 au 31 à la Minoterie (dans le cadre de Actes sur la famille)

Ruy Blas
_De Victor Hugo, par la Cie Chatôt-Vouyoucas
On sait que la grande période romantique est une croisade socialiste littéraire. Ruy Blas, symbole des ruptures, emblème d’un style nouveau, trône au sommet de ces pièces de théâtre du 19e siècle qui auront eu pour effet de disloquer un classicisme ultra rigide hérité des tragédies. Mais voilà, Hugo, aussi charismatique soit-il, est un idéaliste. Et cet idéalisme naïf rend son discours, son texte spécialement didactique et démonstratif. La structure narrative est des plus prévisibles et son texte bavard. Pour dépasser cela, il y a nécessité d’être inventif, impétueux. Ce Ruy Blas version Gyptis 2007 l’est au niveau du décor — absolument splendide. Pour le reste, hélas, trois fois hélas, c’est plutôt plan-plan : peu de verve au niveau de la mise en scène, des comédiens et comédiennes discrets dans l’ensemble. Bref, on reste au sol… Les fans du genre apprécieront ce Roméo et Juliette à la cour d’Espagne, les autres trouveront ce spectacle quelque peu caduc.
_Jusqu’au 7/04 au Gyptis

Nous sommes tous des Papous
_Par le Théâtre de la Mezzanine
Au fond d’une bouche d’égout, elles sont trois : seules survivantes d’un monde dévoyé, la « guerrière » en robe rouge, la « taupe erratique » et la « chercheuse d’or » extraient les rebuts industriels et symboliques (ordis déglingués, ballons de foot, troncs de mannequins dépecés…) d’une improbable société post-apocalyptique (directement inspirée du 11 septembre 2001), quand un homme vient troubler le désordre ambiant… Surplombant une extraordinaire « machine à jouer », seulement « aiguillé » par la musique troublante de Roselyne Bonnet des Tuves, le public assiste, dérangé et ébloui, au spectacle de sa propre déliquescence. Si le théâtre de Denis Chabroullet se passe de paroles (et par la même, de discours moralisateur), il en dit beaucoup. Ou plutôt, il en mon(s)tre beaucoup, souligne avec force ce que nous voyons tous les jours sans même y prêter attention : la danse macabre d’une société en voie de disparition (comme les Papous, d’où le titre) — pire, d’une espèce « en train d’organiser sa propre disparition ». _Du 3 au 7/04. Théâtre Massalia.

CC/FF/EG/LV