Capitalismsxit de Rybn.org à La Compagnie
Hackers vaillants
Comment envisager la fin du capitalisme ? C’est l’une des questions que pose le collectif Rybn.org dans son exposition Capitalismsxit. L’expo est à venir à La Compagnie, lieu de création de Belsunce qui s’est quant à lui donné pour vocation d’« esquisser des futurs insoupçonnables ».
Oui, le pitch a des allures de science-fiction, utopie ou dystopie selon les points de vue. Partant de la vérité énoncée par le philosophe états-unien Frederic Jameson — connu pour sa critique littéraire et pour ses théories politiques marxistes — selon laquelle « Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme », le collectif Rybn.org s’est attelé à une tâche d’ampleur : « constituer une mémoire des différents récits de la fin du capitalisme. »
Le sujet pourrait nous plonger dans la morosité ambiante d’un présent insatisfaisant ou dans l’accablement devant l’ampleur de la tâche à qui voudrait viabiliser des alternatives. C’est là qu’intervient l’esprit taquin du collectif. Ses œuvres open source sont faites de jeux, rébus, détournements, fidèles à leur veine art.net héritée des années 90, avec ses pratiques du hack, sa fascination pour la défaillance, les krachs, les crashs et les bugs. Né à la charnière de deux millénaires en 99 et fermement convaincu que l’ère capitaliste vit son déclin, le collectif a donc la riche idée de documenter les différents capitalismes, qui donnent leur pluriel au titre anglophone du projet mué là en expo. Cette documentation est le fruit d’entretiens, d’enquêtes de terrain et de recherches ouvertes : « On va fouiller dans des domaines d’habitude réservés aux experts » pour créer des « objets extra-disciplinaires ». Si les mots sont précis et peuvent apparaître ésotériques voire jargonneux à dessein, les recherches sont présentées de manière ludique, dans l’optique de constituer une « bibliothèque improvisée » dans laquelle on peut déambuler, piocher, rêvasser : l’idée, c’est de « comprendre un système en train de se crasher » en étudiant la fabrique du doute, prenant pour exemple le tabac, les pesticides, le climat… exprimé via une « poétique de l’impossible, du paradoxe ». Par exemple, nous pourrons voir de grands drapeaux noirs aux slogans ironiques (gardons la surprise), qui peuvent évoquer Donna Haraway, une pionnère du cyberféminisme ; ou Günther Anders, alarmé de « l’obsolescence de l’homme »… jusqu’à arriver au « cabinet de monstruosité ». La collection vient illustrer le déclassement des objets retirés du marché, devenus désormais « étranges et inquiétants : de la vaisselle en mélamine, une vierge phosphorescente, des médicaments… ». Mais Rybn.org ne s’arrête pas au constat, qui n’est déjà pas « simple », puisque pour le groupe « se considère du côté des lanceurs d’alerte ». Il pousse aussi jusqu’à la spéculation, l’anticipation. Avec des diagrammes en cyanotype (une technique d’impression photo en bleu et blanc) ou sur tableau noir, le collectif a imag(in)é des cartographies. Par exemple, une des cartes recense les différents scénarios de fins du monde possibles (#2 – Eschatologies technologiques) à partir d’entretiens qui sont disponible à l’écoute sur leur site. On peut par exemple recommander celui avec Oulimata Gueye (critique d’art et curatrice) sur « l’histofuturisme », terme apparu chez Octavia E. Butler, autrice de sci-fi afro-américaine.
L’exposition, structurée en trois volets — recherche ouverte, ensemble d’objets et spéculation — va pirater, tenter de « déverrouiller le système » qui nous empêche d’imaginer des scénarios alternatifs. À nous alors d’aller tenter collectivement de résoudre l’énigme, hypertrophiée et à typologies variables, que nous pose Rybn.org à travers son étude des capitalismes.
Il s’agit bien « d’esquisser des futurs insoupçonnables ». La formule, empruntée au philosophe-anthropologue Dénètem Touam Bona, résume le projet porté quant à lui par La Compagnie. L’association présente depuis sa réouverture en mai dernier une programmation riche de recherches et de découvertes ; beaucoup de temps de rencontres et sous diverses formes. Pensé en « enchevêtrements », le programme décloisonne les territoires sociaux, thématiques et disciplinaires. Nous en aurons un bel exemple lors du week-end d’ouverture de Capitalismsxit, avec des évènements les trois soirs : lectures ou projection, lancement d’ouvrage, performance. Il y a aura aussi des « interventions/repas : dégustation de légumes fermentés de Belsunce » proposés par l’artiste-designer Gwénaëlle Plédran, qui travaille justement sur « la fermentation comme modèle d’un nouveau système de production ».
Pour tous les goûts et penchants, il y aura largement de quoi nourrir et mûrir — tout en décomposant ! — les systèmes et les imaginaires.
Margot Dewavrin
Capitalismsxit de Rybn.org : du 30/11 au 3/02/2024 à La Compagnie (19 rue Francis de Pressensé, Marseille 1er ).
Rens. : www.la-compagnie.org
Pour en (sa)voir plus : rybn.org