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Carnaval indépendant de la Plaine, Noailles et les Réformés 2019

Bas les mascarades

 

En 2019, le Carnaval indépendant de la Plaine soufflera ses vingt bougies. Entre un quartier endeuillé et un mur de la honte, le contexte est périlleux. Mais comme à l’accoutumée, l’hiver sera enterré et avec lui, on l’espère, nombre de mascarades politiques d’un autre temps.

 

Derrière l’image guillerette d’un divertissement bruyant et coloré dans laquelle on voudrait les faire rentrer, les carnavals surgissent pourtant de dynamiques bien différentes.

Des carnavals, il en existe partout dans le monde. À chacun ses spécificités. À chacun son utilité. À chacun son calendrier.

À rebours des conceptions évolutionnistes, ils marquent, par leur éternel retour, l’empreinte cyclique des éléments. Ici la fin de l’hiver, l’arrivée du printemps. Mais au-delà : un lien au cosmos, où la naissance et la mort se confondent éternellement dans le même geste, le même mouvement, le même hommage. Les traditions ? Il les agite, il les réinvente, il s’y plie puis il les tord dans tous les sens. Bref, il est en vie. Tellement qu’il porte en lui-même sa propre autodérision, sa propre antithèse, absorbée par une puissance évocatrice intrinsèquement humaine.

Simulacre archaïque d’un monde renversé, le carnaval convoque les symboles et les figures constitutives de la société dans laquelle il prend forme. Une sorte de fête à l’envers, en somme, comme l’a très justement formulé l’ethnologue narbonnais Daniel Fabre. Les codes sociaux, les rôles, tout y est inversé : pouvoir, rang, religion, sexe… Dans les carnavals, l’impensé et l’interdit refont donc surface, en grand et sur le devant, dans ce vrombissement qui fait trembler les citadelles.

Il en va ainsi depuis la nuit des temps, et celui de la Plaine n’échappe pas à la règle. Au contraire : en vingt ans d’activisme, il s’est forgé (sans aucun soutien, ni accord de la Mairie) une solide réputation sur la carte hexagonale des carnavals indépendants. En exhumant, notamment, les liens intrinsèques entre l’ici (la culture occitano-marseillaise) et l’ailleurs (l’Italie, par-delà la mer et, plus loin, tout l’Est oriental de l’Europe), il dessine chaque année un peu plus les contours d’une société plurielle. « On est tous des enfants de Marseille. Tous, même ceux qui viennent de très loin, ceux qui viennent à la nage, ou en radeau. Donc, symboliquement, le carnaval ira jusqu’à la Porte d’Aix », nous a-t-on précisé lors d’une conférence de presse anonyme. La Porte d’Aix, à l’instar de la Plaine : un point stratégique qui n’échappe pas aux terribles « requalifications » chères à la Ville. Car c’est un fait, les Marseillais ont toujours posé un problème pour la Ville de Marseille. Pas de bol, ils sont Marseille…

Cette année, le jugement du caramentran (on vous laisse deviner) ouvrira le défilé. S’ensuivra donc un trajet modifié, amputé, entre un plan Jean-Jaurès interdit et un Noailles endeuillé… Un carnaval survivant, donc, mais un carnaval grandi, encore plus festif et familial. Où la seule violence exercée sera « le jet de farine sur les personnes non déguisées. » Un carnaval des quartiers : « On nous a pris la Plaine, on prendra Marseille. » Un carnaval libre et joyeux qui ressent, analyse, puis déroule fraternellement la catharsis spontanée qui lui est propre. Et puis, vingt ans, c’est pas rien. Il peut maintenant sortir comme un grand.

 

Jordan Saïsset

 

Carnaval indépendant de la Plaine, Noailles et les Réformés : le 10/03 à 14h au départ de la place Carli (1er).
Rens. : www.facebook.com/carnavaldelaplainenoaillesreformes/