Carte Blanche à la Nième Compagnie
Ours Solaire
Inauguré en 2003 par le théâtre de Lenche à Marseille, le principe de la Carte Blanche offre aux compagnies un temps à aménager librement. Synonyme de liberté de création et généralement dédié à des artistes locaux, la Carte Blanche accueille pendant quinze jours des Lyonnais qui ont pas mal bourlingué. Sept spectacles, sept comédiens et deux metteurs en scène proposent un rodéo théâtral avec textes déjantés, cabaret et projection.
« C’est du théâtre tout terrain et tout chemin ! » s’exclame Claire Truche, co-fondatrice de la Nième Compagnie. Metteur en scène et comédienne, Claire explique comment de Lyon au Groenland, la Nième Compagnie pose finalement ses valises à Marseille, offrant une plongée dans trois univers artistiques différents. Avec Le Brognet, Jean-Philippe Salério raconte seul sur scène, un amour malheureux aux confins de l’absurde, rappelant la force des préjugés. Une histoire de vacances sans lendemain qui pourrait être la vôtre, tournant court pour cause d’a priori sectaires héréditaires. Claire Truche incarne dans La geste des Manchots une scientifique qui pète les plombs en direct. Une leçon d’humanité délirante est délivrée via un bestiaire que la comédienne s’approprie avec délice. Avec Botox songs, c’est du cabaret dans la plus pure tradition, servi par la voix acidulée de Françoise Manneret, qui chatouille là où ça fait mal ; accompagnée par un Jean-Luc Michel immense, qui se plie derrière son piano, avec juste ce qu’il faut de retenue pour être drôle. Sa sobriété sonne juste, à côté d’une chanteuse qui se met à l’aise, se débarrassant de ses talons hauts pour entonner avec le public une histoire chantée du vieillissement, des charmes fanés qu’on ressuscite à coups de chirurgie esthétique. Quant aux Têtes Parlantes, sur le texte d’Alan Bennett, elles émergent de décors élaborés spécialement pour le spectacle : « C’est un choix de mise en scène. Un rapport étroit avec le titre : les comédiens sont coincés dans une boite, comme les personnages interprétés sont coincés dans leur vie » explique Jean-Philippe Salério, « des textes sur le quotidien, où Bennett appuie juste assez sur le trait pour que cela nous touche.» Dans Bashir Lazar, le texte de la Québécoise Evelyne de la Chenelière évoque le destin d’un travailleur immigré algérien au Québec, « une lecture spectacle, concentrée sur le texte » se défend Claire Truche. Quant au Groenland… « C’est un projet qui a débuté en 2005. L’idée de départ était de coupler des comédiens français et groenlandais, sur l’idée de l’utopie. Ce fil que je suis depuis plusieurs années m’a conduite à me demander quel était l’endroit sur une carte qui reste blanc », déclare Claire. Une cartographie du rêve, au sens propre, géographique, qui amène inévitablement à la question de la perception de l’autre et de la différence en général : « Le Groenland, en tant que terre inconnue, peut porter l’imaginaire de l’occidental. Et, dans l’autre sens, comment ces comédiens groenlandais, porteurs d’un imaginaire pour nous, vivent-ils leur réalité ? Tous les gens qui partent dans le Grand Nord sont peut-être un peu fêlés ! » sourit Claire Truche. Ce projet, à long terme, a abouti sous la forme d’un texte, d’un film et de deux diaporamas proposés dans une même soirée. Dans un décor de mini-icebergs, les comédiens évoluent dans une forme qui rappelle délibérément le travail chamanique : « Les six comédiens incarnent plusieurs personnages, et à l’aide de codes vestimentaires, ils illustrent l’idée d’un Groenland que l’on a rêvé avant de l’arpenter », explique Claire Truche. « Une sorte de fantasme, pouvant être celui de n’importe quel européen », surenchérit J.P Salério. Un carnet de route agrafé à l’aide du film et des deux diaporamas, illustre le décalage entre le projet et son accomplissement. « C’est un tourisme étrange, mais parfois visionnaire, puisqu’on parle de l’eau pure des glaciers que les Danois essaient de commercialiser prochainement ! » Un spectacle qui évoque à sa manière les questions d’une réalité fantasmée que l’on découvre finalement très en prise avec l’actualité : réchauffement climatique ou course à l’enrichissement. Deux imaginaires mêlés, servis par « la langue loufoque de Rémy Rauzier » dixit JP Salério. « Ce qui nous tient à cœur finalement, c’est de porter un regard léger sur les choses lourdes du monde. L’humour devient le vecteur de notre contact avec les spectateurs », argumente Claire Truche. En proposant un répertoire de pièces courtes, aux formes variées et mobiles, dont le but avoué est de réjouir le public. De la poésie au kilomètre, servie sans prétention, pour déclencher le rire ou les larmes. On sourit, on chante, on tape des mains. Intimiste ? Sûrement, mais pas confidentiel. Poétique ? Oui, et accessible. Du Québec au Groenland, de cabaret en Têtes Parlantes, cette pérégrination théâtrale qui sonne comme un pèlerinage sur la terre du rêve est furieusement poétique et pas si utopique.
Texte :Bénédicte Jouve
Photo : Philippe Schuller
Carte Blanche à la Nième Compagnie. Du 5 au 16 février Théâtre de Lenche, 4, place de Lenche 13002 Marseille.
Friche du Panier, 96 H, rue de l’Eveché, 13002
Mini-théatre, 96 D rue de l’Eveché, 13002.
Rens, et réservations : 04 91 52 22