Carte blanche à Xavier Marchand
Ensemble, c’est tout
Xavier Marchand fait la nique au lâcheur et s’est entouré d’artistes, solitaires intempestifs, autour de la soif de se retrouver, entre eux, mais surtout avec nous. Un programme fédérateur, avec pas moins de dix pièces, trois installations et deux ateliers, pour une carte blanche haute en couleurs.
Un dimanche matin pluvieux ou un soir orageux de match, s’extirper du lit, de la foule et venir au théâtre. Rencontrer Xavier Marchand, Noël Casale, Haïm Menahem ou Alain Fourneau et découvrir leurs travaux. Choisir son heure, matinale ou nocturne. Se surprendre de son écoute plus ou moins éveillée selon les heures de la journée… Boulimiques ? Un Pass journée a été prévu pour tout voir ou presque en un jour. Esprits plus tranquilles ? Place aux Carnets d’Infidélités pour une séance du matin, de l’après-midi ou du soir.
Au petit matin ou en fin de soirée, le texte ne résonne pas de la même manière ; l’acteur n’a étrangement pas la même présence et nous n’écoutons pas de la même oreille. Retranché en coin de scène, derrière un pupitre ou à table, il nous attend et nous invite à nous rapprocher. Les formes choisies sont courtes pour moins de saturation, le texte est souvent matériel, à la main, et beaucoup de choses résident dans le jeu de l’acteur et dans le rapport qu’il entretient avec le public, souvent presque sous la forme d’une confidence.
Hormis Premier Amour de l’auteur lui-même, Beckett n’est jamais très loin, à en juger par l’écriture et la forme des autres pièces — solo, duo ou trio —, notamment Le crépuscule des clochards de son ami Raymond Federman, rescapé de la Shoa.
Interchangeables, les acteurs traversent plusieurs pièces, mais restent uniques de leur présence, entre les pièces de Xavier Marchand et de Noël Casale.
La carte blanche donnée à Xavier Marchand est avant tout l’histoire d’une équipe, d’une nécessité de s’unir, de porter des regards artistiques différents sur les mêmes thèmes et les mêmes envies : le rassemblement, l’écriture contemporaine, le mélange des arts… On ne manquera d’ailleurs pas de jeter un œil à l’installation plus que « plastique » de Julie Maret, également scénographe de la compagnie Lanicolacheur, faite de patchworks de sacs poubelles…
Les comédiens entrent par la même porte que les spectateurs, qu’on a fait monter sur le plateau, qu’on a rapprochés de l’espace de jeu. Mais ce n’est pas pour autant qu’on renonce au théâtre, à la folie du jeu ou de l’écrit, de la présence de l’acteur mis à nu par la forme même de l’adresse et par le choix de textes parfois personnels, comme Une vie débutante, écrit et interprété par Pascal Omhovère, et surtout l’ensemble des « pagnolades corses » de Noël Casale… Sorte de Philippe Caubère à la sauce pastorale corse, ce « furieux » prend parfois plus de plaisir à se prendre les pieds dans ses sagas qu’à dire le texte qu’il a lui-même écrit. Avec Xavier Marchand, ils font la part belle aux héros de l’ordinaire : clochards, caissières de supermarché, supporters de foot ou encore facteurs, journalistes sportifs et papés corses… Investis, grandis et mis à l’honneur par le théâtre, ne seraient-ils pas les nouvelles figures du tragique, les nouveaux héros contemporains ?
Texte : Coline Trouvé
Photos : Fabrice Duhamel
Carte blanche à Xavier Marchand : jusqu’au 22/05 aux Bernardines (17 boulevard Garibaldi, 1er) et à la Minoterie (9-11 rue d’Hozier, 2e). Rens. 04 91 24 30 40 / 04 91 90 07 94 (taper 2) / www.theatre-bernardines.org / www.minoterie.org
L’interview : Xavier Marchand
A l’occasion de sa carte blanche à la Minoterie et aux Bernardines, Xavier Marchand revient avec nous sur son travail, sa vision du théâtre et bien d’autres choses encore.
Dans quel contexte a été créée votre compagnie, dont le nom s’avère d’ailleurs pour le moins étrange ?
J’ai été formé au métier de comédien au Conservatoire national d’art dramatique de Paris. Après avoir exercé le métier de comédien pendant dix ans, j’ai créé ma compagnie, Lanicolacheur, en 1987. Le nom de cette dernière provient de l’association de mots à la fin du poème de Mallarmé, Prose pour Cazalis, où il se moque de son ami qui lui a posé un lapin et fait donc « la nique au lâcheur ».
Votre passage de Paris à Marseille semble en grande partie lié à votre travail sur les communautés de cette ville…
Je voulais en effet monter à Marseille un travail sur les communautés étrangères, qui y sont les plus représentées, en faisant participer leurs membres. Cela a abouti, dès 1995, aux Petites topographies littéraires de Marseille avec des Arméniens, Vietnamiens, Arabes et Comoriens. La relation entre une communauté et sa ville de résidence d’un côté, et celle entre Marseille et son pays d’origine, de l’autre, pouvaient être ainsi interrogées. En 2000, on m’a alors proposé d’installer la compagnie à Marseille, avec le soutien des collectivités locales et une convention avec le Ministère de la Culture.
Avant d’être metteur en scène, vous avez donc longtemps exercé le métier de comédien. Comment s’est opéré le passage de l’un à l’autre ?
Je pense qu’après avoir longtemps regardé ce que les autres faisaient, j’ai eu envie de les rejoindre. Par ailleurs, j’aspirais à une plus grande liberté, à la possibilité de faire moi-même des propositions originales. Pour autant, je veux rester en contact avec le métier de comédien, savoir me mettre à la place de ceux que je dirige. C’est pourquoi je continue à être acteur au sein du collectif La Revue Eclair.
Comment se traduit votre vision du théâtre à travers votre travail ?
Le théâtre est un art de rencontres, avec des textes notamment. J’aime théâtraliser des textes non dramatiques avec une dimension contemporaine. Je suis aussi très attaché au travail sur les langues, alors que j’en parle moi-même peu. Faire entendre la langue d’origine et la mettre en parallèle avec sa traduction, voilà ce qui m’intéresse par exemple. Il y a une vraie musicalité des textes qui correspond souvent à la réalité de l’auteur, sa vie, son époque.
Comment avez-vous souhaité aborder la carte blanche offerte par la Minoterie et les Bernardines ?
Avec le metteur en scène Noël Casale, nous avons remarqué que nos projets étaient souvent apparentés. Nous partageons aussi le constat d’une population et de troupes de théâtre vivant un sentiment d’isolement, entre compagnies disparaissant faute de moyens pérennes et publics en situation de précarité sociale. Se fédérer autour d’un projet commun, de temps de présence partagés, nous a paru un moyen naturel, bien que modeste, de lutter contre cet isolement. D’autres metteurs en scène se sont ensuite joints à notre entreprise. Nous proposons ainsi des spectacles, des ateliers et des installations à différentes heures de la journée et sur plusieurs jours de la semaine. Les publics ne sont donc pas conviés dans un rapport classique avec le théâtre. Ils partagent un moment avec des œuvres, des artistes, avec d’autres publics, et dans des espaces variés au sein des théâtres.
Quelles sont vos attentes par rapport à l’évènement Marseille Provence 2013 ?
C’est évidemment une chance pour Marseille, avec l’espoir d’une plus grande visibilité pour sa richesse culturelle relativement cachée. Marseille est quand même la deuxième ville de France. Un simple exemple : la bibliothèque de l’Alcazar est fermée dès 18h30 et n’ouvre pas ses portes le dimanche ! Au-delà de Marseille Provence 2013, il faudrait remettre la culture, la pensée, au cœur de l’homme en ces temps d’hyperconsommation.
Propos recueillis par Guillaume Arias