Cars, quatre roues – Animation (USA – 1h36) de John Lasseter
Les illustrateurs de chez Pixar seraient-ils entrés dans l’âge adulte ? A la vision émerveillée du générique final de la dernière production du studio américain, un discret sentiment de nostalgie semble contaminer les spectateurs et les figurines sur l’écran… (lire la suite)
Cendres chromées
Les illustrateurs de chez Pixar seraient-ils entrés dans l’âge adulte ? A la vision émerveillée du générique final de la dernière production du studio américain, un discret sentiment de nostalgie semble contaminer les spectateurs et les figurines sur l’écran. Dans ces brèves séquences, hilarantes et émouvantes à la fois, les cylindrées vont découvrir au cinéma des films au titre évocateur : Monster Trucks & Cie, Car Story, etc. Comme si, depuis vingt ans qu’ils animent leurs rêves de gosses, Lasseter & co ne nous avaient finalement parlé que de nous et de notre étrange propension à consumer dans l’obscurité d’une salle les cendres de l’inconscient collectif. Ces instants apparemment anecdotiques (et à ne rater sous aucun prétexte) éclairent alors le mouvement secret du film, sa douce mélancolie. Car il s’agit bien là d’un chef-d’œuvre dans la mesure où il consacre l’apogée technique et esthétique d’un style. Cars est, comme souvent chez Pixar, la relecture d’un des derniers grands mythes américains, celui de la Route 66 et, avec lui, de la Beat Generation. A travers l’histoire de Flash Mc Queen, une voiture de course perdue quelque part sur la fameuse Route 66 dans le village de Radiator Springs, ce sont les fantômes de tout un pan de l’histoire américaine qui s’agitent sous nos yeux. Et si les animations n’ont jamais été aussi élégantes, la mélancolie a rarement parcouru aussi nettement le récit. Tout au long du récit, les habitants de Radiator Springs répètent au jeune et méprisant Flash qu’il ne doit pas les décevoir en leur promettant plus que ce qu’il leur donnera jamais. Il ne faut pas voir dans cette représentation d’une Amérique contemporaine amnésique — confrontée à l’image de ce qu’elle fût et qu’elle a rejeté aux bornes du désert (la voiture « beatnik », les voitures italo-américaines, etc.) — une idéologie rétrograde, mais plutôt une lecture dépressive de l’histoire moderne des Etats-Unis. En cela, ces Cars en crise se rapprochent sensiblement d’un autre monument Pixar, le bestiaire désespéré de Monstres & Cie. En définitive, le mot qui revient le plus souvent sur les calandres chromées de ces voitures mythiques (Porsche, Ferrari ou Cadillac) est celui d’un âge d’or qu’il s’agirait d’invoquer une dernière fois avant de l’enterrer inévitablement sous le bitume de l’autoroute. Alors, nos Cars se réunissent pour un dernier raout nocturne, comme au bon vieux temps des seventies. Les enseignes brillent, les peintures scintillent, puis tout s’éteint. Il faut passer à autre chose, courir pour le titre, grandir. Pourvu que cela ressemble à l’Amérique de Pixar.
Romain Carlioz