Cendrillon par la Cie Louis Brouillard
Le conte est bon
Avec Cendrillon, Joël Pommerat réussit le pari de garder le fil conducteur d’une histoire archi-connue tout en réinventant ses scènes codifiées. Une version adulte, moderne et décalée du conte, qui nous parle d’illusions et de temps.
Dans notre imaginaire collectif et transgénérationnel, l’humble et généreuse Cendrillon est forcée par une belle-mère tyrannique de passer le balai vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle trouvera son salut grâce à une ribambelle d’animaux, une gentille fée et au fait qu’elle ne chausse pas du cinquante. Dans l’adaptation théâtrale de Joël Pommerat, point de carrosse transformé en citrouille à minuit. Le metteur en scène modernise avec audace le conte initial et ne cesse de se jouer de ses moments clés. Fée sortie du placard, langage d’aujourd’hui, ou chaussure perdue par… le prince… la pièce rebat les cartes de nos connaissances. Seule notre émotion est tenue par la main du jeu décalé des artistes. Le metteur en scène a choisi de resserrer l’attention du spectateur sur les acteurs en prenant soin de leur faire occuper un très grand espace sans foisonnement de décors. Cette focalisation visuelle et sonore nous prouve que si le texte est majeur, il ne fait pas le théâtre. Le spectacle est d’ailleurs entrecoupé d’une gestuelle sans parole. « Cela se vit, mais ne se lit pas », semblent nous signifier ces pauses scénographiques abstraites. Des interludes qui sont autant d’étapes pour passer d’un moment à l’autre de l’histoire. Les différentes facettes du temps sont au cœur de la pièce. La mémoire de la mère de Cendrillon est entretenue par la sonnerie de sa montre, l’immortalité pèse sur la fée, et la difficulté du passage à l’âge adulte reste toujours sous-jacente. Mais le théâtre ne partage pas que le temps avec la vie. Tous deux sont aussi faits d’alternances entre illusions et désillusions ; lors du passage d’un âge à l’autre pour le spectateur vivant et lors de la découverte du décès de leurs parents pour les personnages. Le théâtre est lui-même illusion, qu’il s’agisse d’un mauvais costume à la sortie d’un rideau-chapeau ou de mauvaises cartes sans cesses tirées par la fée rouillée. Le public ne se sera pas fait d’illusion ; il aura, à nouveau, trouvé chaussure à son pied avec cette éternelle et pourtant nouvelle Cendrillon.
Guillaume Arias