C’est arrivé près de chez vous | Écrans noirs au cinéma de Gardanne
Écrans noirs à Gardanne
Depuis novembre 2022, le cinéma de Gardanne est fermé. Officiellement, « pour travaux ». Il était temps ! La municipalité à majorité LR de l’ex-ville rouge allait-elle enfin rénover ce lieu culturel essentiel pour la vie locale et son rayonnement ? Le cinéma 3 Casino (sans S), puisque tel est son nom, est en effet un écrin de culture dans cette ville de 23 000 habitants, qui se cherche une identité entre crise des industries, spéculation immobilière et paupérisation.
Depuis 2013, la salle principale du rez-de-chaussée, d’une jauge de 240 places, était condamnée suite aux faiblesses d’une poutre-maîtresse. L’ancienne municipalité, de gauche pourtant, n’avait pas daigné donner suite aux sollicitations de l’association gestionnaire du lieu, Gardanne Action Cinéma (GAC), préférant travailler sur un projet de salle de loisirs et cinéma en un autre lieu, finalement abandonné. Ainsi débutèrent les premières incertitudes sur l’avenir de ce cinéma. Seules les salles du premier étage, inaccessibles aux personnes à mobilité réduite, restaient accessibles au public, qui dût s’en contenter.
Pendant près de dix ans, le GAC a réussi à maintenir une activité de diffusion cinématographique populaire et exigeante, entre blockbusters et films Art et Essai, avec chaque année un Festival d’Automne à la programmation innovante et de qualité (avant-premières, rencontres avec des réalisateurs.trices et des comédien.ene.s), ainsi que des actions d’éducation à l’image (dispositifs école, collège et lycéens au cinéma). Ferraillant avec la baisse des subventions et l’inévitable coût d’une fermeture pour des travaux tant attendus, le cinéma n’a pas remplacé la dernière directrice partie en 2019, en attendant des jours meilleurs pour recruter ce personnel de direction indispensable pour le rayonnement du lieu. En 2020, à la faveur de la dispersion des voix de gauche, une nouvelle majorité municipale étiquette LR s’empare de la mairie et s’engage, comme toutes les autres forces politiques locales, à entreprendre la rénovation du cinéma. Le GAC fait confiance au maire Hervé Granier et à son adjoint à la culture Arnaud Mazille sur la promesse de début de travaux au 1er novembre 2022 et prépare les locaux en les vidant de leur mobilier. Dès la fermeture, les fauteuils sont démontés et vendus par l’association de gestion. On en voit de-ci de-là en ville, dans les salons de coiffure notamment. Le matériel de projection, la caisse enregistreuse, le matériel de bureau, le matériel du café attenant (dénommé « café-ciné » depuis 2019) sont stockés dans un entrepôt en prévision d’une réouverture annoncée pour octobre 2023, une fois les nécessaires travaux de rénovation effectués. Les salarié.e.s du lieu (assistante de direction, projectionniste, serveurs du café-ciné) sont mis en chômage technique. Pourtant, aucun projet vraiment ficelé dans les règles de l’art n’existe : pas d’entreprise désignée pour faire les travaux, pas de calendrier ni même de budget prévisionnel en bonne et due forme. Le doute s’installe tandis que les aides financières fondent. Lors du dernier conseil municipal de 2022, la subvention municipale passe de 160 000 euros à 100 000 euros. Le cinéma et son café semblent avoir tiré leur révérence : grille fermée, locaux vidés, fermés depuis plus de trois mois, pas de travaux, écrans noirs sur la ville. Fin janvier, lors des vœux du maire, pour la première fois, le cinéma n’est même pas mentionné pour son festival, encore moins pour sa rénovation promise.
Soudain, en février, la municipalité annonce une réouverture du cinéma pour « avril/mai » 2023 — avant les Saints de glace ?! La présidente du GAC précise que le coût d’une réouverture équivaudrait, peu ou prou, à la baisse de subvention annoncée : il va bien falloir acheter de nouveaux fauteuils, donner un coup de peinture, recâbler les projecteurs… Bien sûr, les travaux de restauration de l’édifice sont reportés fin 2024, il y aura encore une fermeture suivie d’une réouverture théorique en août 2025. Alors pourquoi cette fermeture pour rien ? Pour sa défense, le maire Hervé Granier s’est dit « mal conseillé » sur ce projet, a prétexté d’une conjoncture internationale pour le moins incertaine contraignant à une hausse du coût des matériaux nécessaires aux travaux, et souhaite enfin qu’on le « laisse travailler ».
Dans cette séquence pour le moins ubuesque, un collectif d’usager.e.s du cinéma et du café attenant s’est constitué début décembre, se retrouvant sur l’agora locale que constitue le marché dominical pour alerter la population sur le futur pour le moins incertain du lieu (à l’aide d’un stand convivial avec panneaux et pétition). Regroupés au sein du Collectif Cinéma Gardanne, ses membres dénoncent le flou pour le moins artistique qui entoure la décision de la ville, propriétaire des lieux, de fermer le cinéma sans projet cohérent, et demandent la réouverture, dans des conditions dignes du Septième Art, d’un lieu vital pour la vie locale, souhaitant également que le café attenant trouve sa vocation de (tiers) lieu culturel. Dans un centre-ville que l’équipe municipale en place n’a de cesse de prétendre à revitaliser, le lieu est aussi l’occasion, pour le public, de se rendre chez les commerçants environnants, qui pour prendre l’apéro dans un autre bar que le Café-Ciné, qui pour aller chez l’opticien ou à la boulangerie… Les tarifs modiques permettent (soyons optimistes, restons au présent, ou du moins au futur proche) à nombre de familles de se payer une toile dans une ville populaire où la population souffre de la hausse du coût de la vie. Rares sont celles qui peuvent se permettre d’aller au multiplexe de Plan-de-Campagne ou bien d’aller à Aix, où les tarifs tendent à devenir prohibitifs — sans compter le coût du parking.
En outre, on ne compte plus le nombre d’élèves scolarisés à Gardanne et dans les communes environnantes qui, depuis plus de vingt ans que les dispositifs de projection scolaire existent, permettent aux écolier·e·s, collégien·ne·s et lycéen·ne·s de découvrir des films qu’ils n’iraient pas voir en famille ou de leur propre initiative… avec des possibilités de débat sur ce qu’il·elle·s ont vu. « Celui qui ne saura pas lire les images sera l’analphabète du futur », écrivait le philosophe Walter Benjamin. La municipalité actuelle semble n’en avoir cure. Préférerait-elle des jeunes vautrés sur leurs canapés, consommant des produits de plateformes payantes sur des écrans privés ? Le silence des pantoufles paraît être son credo. Concernant l’avenir des projections au Cinéma 3 Casino dès ce printemps et une réouverture du Café Ciné, le doute subsiste. Pour que les écrans ne restent pas indéfiniment noirs, pour qu’il n’y ait pas de clap de fin sur la ville, le Collectif Cinéma Gardanne annonce de son côté se constituer prochainement en association afin de veiller à ce que le Cinéma 3 Casino, avec le Café-Ciné attenant, ait un véritable futur.
Une pétition en ligne et en papier a déjà rassemblé plus de 1 000 signatures d’amoureuses et amoureux de ce cinéma.
Laurent Dussutour
Rens. : collectifcinemagardanne@gmail.com