Cette fois de Samuel Beckett par la Cie In Pulverem Reverteris
Noir, sœur de l’âme
Suite à un refus des ayants droit de Samuel Beckett que les voix de Cette fois soient incarnées par des acteurs vivants, la compagnie In Pulverem Reverteris relève le défi.
Sur la scène plongée dans l’ombre avec des traces mortes d’intimité comme des fossiles, pas de personnage mais un homme aux cheveux dressés, assis sur un tabouret. Le visage éclairé sans expression particulière mais pas totalement neutre, il est vivant, mobile, muet. Des voix flottent dans cet espace. A trois, elles racontent ce que le temps, ce cancer, ne se contente pas de déformer : des souvenirs, des émotions. L’homme écoute ces voix qui semblent émaner de lui comme les particules de son être atomisé ; ces histoires dans les voix pour contenir le vide au moment où l’homme, épuisé, en vient à douter de l’existence. Son corps est comme le résidu de ces voix : le temps a tout balayé dans un flux qui rend le passé incertain, illusoire, et où la vie individuelle a des allures de perturbation fugace sur la surface de l’infinité. Par ces souvenirs, il est relié au monde, à nous, et dans la salle, c’est une communauté qui contemple ce tour dérisoire des fantômes, ces images singulières accédant à l’indéfini comme à l’état céleste. Il y a une forme d’hypnose amenée par l’écriture de Beckett qui retranche tout (personnages, actions…), épuise tous les possibles et finit par ne se rapporter plus qu’à elle, devenant la vie même. Ce théâtre métaphysique, désespéré, à la sobre radicalité, correspond peu aux attentes du public culturel moyen et à celles des programmateurs en recherche de spectacles dynamiques. Il tend en quelque sorte à la création d’un nouveau spectateur, à un régime perceptif différent, fait d’écoute flottante et de contemplation. Il est tout à l’honneur de Danielle Bré de sortir cette œuvre de sa « réserve », d’en expérimenter un devenir possible sans la trahir. Les nombreux spectateurs venus se rapprocher de l’inconnu beckettien sont restés longtemps après le spectacle pour la questionner. Et les trois comédiens aux voix expressionnistes, ayant dû rester en coulisses le temps de la représentation, eurent enfin le droit d’apparaître…
Olivier Puech
Cette fois de Samuel Beckett par la Cie In Pulverem Reverteris était présenté le 23 avril au Théâtre Antoine Vitez (Aix-en-Provence)