Chants médiévaux de dévotion à Saint-Antoine l’Égyptien par l’Ensemble Vox In Rama
Le chant disparu des Antonins
Après un long travail de collation et de restauration, Frédéric Rantières et l’Ensemble vocal Vox in Rama restituent les chants de prière des moines Antonins, dont les voix se sont tues voici plus de deux siècles. Un concert exceptionnel et gratuit à l’Abbaye Saint-Victor. Pèlerin de la musique ancienne, pose ton bourdon et entre.
L’Égyptien
Le premier commencement à cette aventure se déroule dans la Haute-Égypte au IIIe siècle de notre ère. Convaincu par la nouvelle religion, un jeune homme s’enfonce dans le désert après avoir distribué ses biens aux pauvres. Démons et légions infernales l’assaillent alors de tentations voluptueuses ou de cruels sévices ; mais Antoine, droit dans ses bottes (qu’il n’a plus), fait preuve d’une résilience invincible. Mille ans plus tard, ses reliques passent pour soigner un des plus terribles fléaux qui ravagent l’Europe : le mal des ardents. Des moines hospitaliers se consacrent à soulager la gangrène et les convulsions des malades avec des baumes, du vin dans lequel les os de Saint-Antoine ont trempé, des prières et des chants. Leur musique se présente nimbée de vertus thérapeutiques. Par sa médiation, l’enfer, le paradis, la vie, la mort trouvent une transfiguration dans le cœur des hommes qui, pareillement au pouvoir des reliques ou des images sacrées, les subjugue et les apaise face à la souffrance et à l’angoisse. Aux temps modernes, la maladie provoquée par une moisissure des céréales disparaîtra et l’ordre des Antonins, après son prodigieux essor en Europe, s’étiolera progressivement. L’office singulier de ses moines, leurs cérémonies rituelles et le corpus vocal afférent vont s’ensevelir sous la poussière des ans.
Le musicien
Le deuxième commencement appartient à l’actualité. Frédéric Rantières, docteur en sciences religieuses, directeur artistique de l’Ensemble vocal Vox in Rama, est un passionné des « oralités anciennes ». Lors d’une rencontre avec l’association des Amis des Antonins (1), il est mis sur la piste d’un vieux livre de chœur appartenant au Trésor de l’ordre et de manuscrits complémentaires dispersés dans des abbayes et des bibliothèques. Dès lors, il va fouiller, rassembler et comme un archéologue faire parler ses découvertes. Afin d’en articuler un ensemble cohérent, il met en relation ces chants de l’office des moines antonins avec les circonstances historiques, théologiques et artistiques qui leur ont donné naissance. Mieux, il va les réanimer, car pour lui ce patrimoine s’inscrit dans une temporalité sans limite. Sa profonde familiarité avec le chant grégorien lui permet de donner sens aux notations musicales médiévales souvent elliptiques ou lacunaires, à la musica ficta, à tout ce qui n’est pas écrit et que la connaissance des traditions musicales monastiques permet de reconstituer et dont l’assignation liturgique laisse deviner le caractère.
« Je suis cherchant plus que chercheur. » Confronté aux validations des hypothèses qui fondent sa reconstruction, Frédéric Rantières assume ses choix en scientifique et en musicien tout à la fois ; aspirant partager son adhésion aux convictions expressives de la musique qu’il étudie et interprète. Avec lui, l’Ensemble Vox in Rama fait résonner la dévotion des Antonins pour leur saint patron (2)), silencieuse depuis la dissolution de l’ordre en 1776, poursuivant cette transmission de textes, de rythmiques verbales et d’inflexions mélodiques avec lesquels les chantres ont nourri leur spiritualité en écho à la voix des malades secourus, à l’épouvante qui les habitait souvent et à la charité qui parfois les a sauvés. En regard, sera placée la Messe de Saint-Antoine-abbé de Guillaume Du Fay (1397-1474), dont Frédéric Rantières a retrouvé les plains-chants antonins ayant servi de modèle au célèbre compositeur de l’école franco-flamande. Cet héritage vocal a été restitué au mois de mai dernier, sous la forme d’un concert-spectacle à l’abbaye-mère de Saint-Antoine-l’Abbaye en Dauphiné, où sont toujours conservées les fameuses reliques, à l’occasion du 900e anniversaire de sa dédicace par le pape Calixte II. Le spectacle sera présenté à nouveau, gratuitement, dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine.
Le peintre
Le dernier commencement se situe dans la seconde décennie du XVIe siècle. Le précepteur de la communauté des Antonins d’Issenheim, près de Colmar, commande un retable pour son église auprès du peintre allemand connu aujourd’hui sous le nom de Matthias Grünewald (1480-1528). Ce faisant, il va susciter l’un des plus bouleversants chefs-d’œuvre de tous les temps(3)), dont l’hallucinante atmosphère continue à fasciner « comme le typhon d’un art déchaîné qui passe et vous emporte(4)). » Les fantasmes mordants de l’artiste rappelaient aux malades qu’il y a quelque chose de terrible dans l’homme qui peut être racheté. Les épreuves traversées par le Saint guérisseur ont inspiré aux peintres, de Jérôme Bosch à Salvador Dali, des mises en scène spectaculaires mobilisant le bestiaire antique dans de surprenantes tournures expressionnistes. Nombre de ces représentations seront projetées à Saint-Victor pendant le récital de Vox in Rama. Tant il est vrai que, selon Saint-Jean de la Croix, « les images servent d’échelons pour nous élever aux choses invisibles. » De concert avec la musique.
Roland Yvanez
Chants médiévaux de dévotion à Saint-Antoine l’Égyptien par l’Ensemble Vox In Rama : le 22/09 à l’Abbaye Saint-Victor (3 rue de l’Abbaye, 7e).
Rens. : www.amisdesaintvictor.com
Pour en (sa)voir plus : www.voxinrama.com
Notes
- L’Association Française des Amis des Antonins (AFAA), qui porte le projet de création d’un CD, a mis en place un financement participatif : helloasso.com/associations/association-francaise-des-amis-des-antonins/collectes/redecouvrez-les-chants-disparus-de-l-ordre-des-antonins-1[↩]
- Saint-Antoine abbé, dit le Grand ou l’Égyptien ou l’Ermite (251-356) à ne pas confondre avec Saint-Antoine de Padoue (1195-1231[↩]
- Retable d’Issenheim, au musée Unterlinden (Colmar[↩]
- J. K. Huysmans, romancier et critique d’art (1848-1907[↩]