Chiharu Shiota - State of Being (Le Guépard) © Sunhi Mang

Chiharu Shiota – State of Being (Le Guépard) au Centre de la Vieille Charité

Les modes englouties

 

Les œuvres arachnéennes de l’artiste japonaise Chiharu Shiota semblent remonter le fil du temps. Rien d’étonnant à ce que son installation, imaginée à partir de costumes empruntés à la collection du BNM, prenne place dans la chapelle de la Vieille Charité, dont les murs sont chargés d’histoire.

 

Huit jours ont été nécessaires pour réaliser ce travail de titan. La nef de la chapelle est impénétrable, barricadée par un réseau de fil si dense que notre vision est morcelée. Suspendues au milieu de cet entrelacs, dix robes précieuses, autrefois costumes de scène de l’opéra de Roland Petit Le Guépard, imaginées par Luisa Spinatelli.
Les murs épais de la chapelle isolent de l’extérieur, l’atmosphère est propice au recueillement. State of Being est une œuvre éloquente mais silencieuse. Tout en délicatesse, elle semble ne reposer sur rien. Les robes en lévitation sont évanescentes, elles cohabitent avec le fil noir au graphisme aérien, qui diffuse une angoisse sourde. Il court du sol et s’élève jusqu’au faîte des colonnes, englobées dans l’installation, avalées. Abysse ou outre-tombe, l’œuvre est quelque part entre la protection et l’enfermement. On est devant la forêt de ronces qui protège le sommeil de la Belle au bois dormant. Et tout comme les contes de fée qui distillent leur cruauté, l’œuvre de Chiharu Shiota se lit en contraste, aussi bien visuels que sémantiques. Le corps, au centre de sa pratique, se révèle par l’absence. Les robes évidées y font référence, tout comme la toile patiemment tissée, qui restitue le travail acharné et patient de l’araignée, un piège mortel. Le noir strie l’espace, découpe les robes pâles. C’est la charge symbolique de ces objets qui permet à l’artiste de mettre en place une narration, dont le fil fait lien. Les costumes sont réunis pour une dernière mise en scène, un ballet immobile et atemporel qui prend des allures fantomatiques.

Adèle De Keyzer

 

Chiharu Shiota – State of Being (Le Guépard) : jusqu’au 19/10 au Centre de la Vieille Charité (2 rue de la Charité, 2e).
Rens. : 04 91 14 58 80 / www.musees.marseille.fr / www.ballet-de-marseille.com

Pour en (sa)voir plus : www.chiharu-shiota.com

 


 

Nouveau point de vue

 

Le passé entoilé

 

L’installation de Chiharu Shiota à la Vieille Charité nous convie à un chemin parcouru de surprises émotionnelles. Retour sur une œuvre monumentale qui prend l’imaginaire dans la toile de l’émotion, une découverte à 360 degrés sous toutes les coutures.

 

D’emblée, on se sent tout petit face à cet ensemble de costumes du Guépard, conçus pour le Ballet National de Marseille. Suspendus en l’air, ils sont enchevêtrés dans des fils noirs qui parcourent tout l’espace intérieur avec des ouvertures et un tunnel de toile favorisant toutes les directions du regard.
La pâleur des tenues, mise en lumière par un jeu subtil de lampes, détone avant tout dans cette immense toile d’araignée. L’objet est ainsi symboliquement détourné de son usage premier, en apesanteur visuelle et imaginaire, détaché de tout terre-à-terre et du corps qui pourrait le revêtir. L’effet est tel que nous parvenons à ne voir ici qu’œuvre artistique et plus aucune référence au vêtement.
Les tenues semblent également capturées par une araignée qui nous présenterait ses proies avant peut-être de les dévorer. Ici, une distance est d’ailleurs requise, pour ne pas finir dans le gosier de ce mystérieux et invisible prédateur, et se laisser submerger par les émotions de l’extérieur. L’évocation des particularités de ce prédateur ne s’arrête pas à une question de matière filaire car l’artiste a également reproduit la parfaite géométrie de cet enchevêtrement naturel. Il suffit de raccourcir et d’augmenter les distances avec l’œuvre pour s’en convaincre.
En étant figés, les robes fixent aussi le temps ou plutôt le passé. Car, volontairement ou pas, il y a bien une atmosphère gothique dans cette installation. Le visiteur réinvente ce passé inconnu, propice à toutes les interprétations. Qui les a cousues, à quelle époque font-elles référence, proposent-elles un hommage à Tim Burton ? Les idées se mêlent et s’emmêlent au gré des angles de vue.
C’est donc plein de toile et d’étoiles dans la tête que nous ressortons de ce moment magique, certes figé mais peut-être pour l’éternité.

Guillaume Arias

 

Chiharu Shiota – State of Being (Le Guépard) était présenté du 17/07 au 19/10 au Centre de la Vieille Charité (2 rue de la Charité, 2e).
Rens. : 04 91 14 58 80 / www.musees.marseille.fr / www.ballet-de-marseille.com

Pour en (sa)voir plus : www.chiharu-shiota.com