Chœur des amants de Tiago Rodrigues

Enfants de cœur

 

Le Théâtre de l’Olivier fait l’événement avec Chœur des amants, une des dernières œuvres de Tiago Rodrigues, mais aussi sa première pièce (2006), ici recréée avec deux incroyables comédiens, David Geselson et Alma Palacios. Une occasion unique de refaire en compagnie de ses mots d’hier et d’aujourd’hui le parcours du futur directeur du Festival d’Avignon, auteur et metteur en scène hors du commun.

 

 

Dès sa première page, la célèbre maison d’édition théâtrale Les Solitaires intempestifs replace Chœur des amants de Tiago Rodrigues dans son contexte de création : « Parmi les quatre chants de cette pièce, le premier a été écrit en 2006 et présenté au Théâtre Maria Matos de Lisbonne, aux côtés de plusieurs autres pièces courtes du projet Urgências. En 2007, la pièce produite par la compagnie Mundo Perfeito et interprétée par Cláudia Gaiolas et Tónan Quito est reprise au Culturgest de Lisbonne, avec deux nouveaux chants. En 2020, Tiago Rodrigues reprend ce texte avec un chant inédit en vue d’une nouvelle mise en scène, jouée en français. La dernière version de Chœur des amants, que nous publions ici, a été créée au Théâtre de Lorient le 24 septembre 2021. »
Ce préambule revêt ici toute son importance car il témoigne du désir de se confronter à sa propre œuvre et en démontre l’évolution sous la plume de son auteur. Et quel auteur ! Tiago Rodrigues est l’un des plus brillants de sa génération, osant des formes de style qui mettent en jeu l’écriture sans reposer obligatoirement sur une scénographie marquée. Contrairement à sa récente Cerisaie avec Isabelle Huppert et les effets scéniques grandioses que nécessitait la cour d’honneur du Palais des Papes, Tiago Rodrigues revient à une épure comme dans By Heart. Le texte se suffit à lui-même et ne supporterait aucun détournement de regard. Une table, des chaises, une bouilloire…

 

En création perpétuelle
Le travail à la table, il l’a appris avec le TG Stan. Mais sa façon de travailler s’oriente vers un partage entre solitude d’écriture et mise en commun créative au plateau. Tiago Rodrigues écrit avec et pour les acteurs. En 2020, pour Chœur des amants, il a écrit le matin et soumis le texte aux expérimentations des comédiens l’après-midi. Cette méthode transparaît au plateau, actant des décrochages, divisant le sens commun d’une histoire en plusieurs récits, qui se superposent ou diffèrent dans diverses appropriations. Des effets de discours, à l’instar de Antoine et Cléopâtre où les pronoms jouent aux chaises musicales, virevoltant du « je » au « elle » et « lui ».

Chœur des amants n’est pas une reprise de sa première pièce, elle est une réappropriation par ses nouveaux acteurs, jouant sur la mise en abyme. Si elle parle de la fusion, du « ensemble » d’un couple puis de l’évolution d’un amour à l’aune d’un événement traumatique, son auteur profite de l’occasion pour mesurer l’attachement qu’il a envers ses propres mots. Un regard clairvoyant sur un ex, en l’occurrence ici une fiction écrite il y a treize ans, au début d’une carrière. Un regard en arrière en s’octroyant la possibilité d’en écrire un nouveau chapitre. Le chapitre du temps qui passe, sur nos vies, nos amours, nos écrits et l’impact qui en découle.
Ce chant polyphonique du même élan amoureux dit à l’unisson par les acteurs prend parfois des chemins parallèles qui s’émancipent. « Lorsque les répliques des personnages présentent de légères différences, comme s’il s’agissait de variations d’une même partition. À d’autres moments, des solos ou des fragments de texte sont dits par un seul personnage. À d’autres encore, les personnages disent en même temps des choses tout à fait différentes. » Si ces différences de points de vue ont été largement utilisées par la littérature et le cinéma, ce qui différencie la démarche de Tiago Rodrigues, c’est la langue, sa langue à lui, celle qu’il impose dès cette première œuvre. Son lyrisme qui fait littérature, son sens du dialogue qui dépasse le théâtre. Et, surtout, Tiago Rodrigues soutient que l’imagination du lecteur est souveraine, ce qui accorde toutes ces voix et leur redonne une unicité.
Là où The Way She Dies avec Frank Vercruyssen dévoilait les strates infinies qui constituent le sentiment amoureux, l’attachement, la perte, la place de la femme dans la société, dans le couple… Chœur des amants observe avec minutie le moment clé où l’union symbiotique devient dissonance. L’instant où la vie à deux est mise en péril par l’imminence, la possibilité d’une séparation définitive. Comment la mort met-elle l’amour à l’épreuve dans sa façon de mettre en jeu l’irrémédiable et la réaction de chacun des amants ?

 

La confiance en soi est un nous
Tiago Rodrigues a l’habitude de mener des projets avec des artistes qui l’accompagnent sur plusieurs pièces. C’est le cas d’Isabel Abreu, mais également de David Geselson. Certains le connaissent pour le succès de son En Route-Kaddish, l’histoire de son grand-père Yehouda Ben Porat, ou dans les courts-métrages d’Antonin Peretjatko, ou encore pour l’avoir remarqué son talent dans Bovary et récemment à Avignon dans La Cerisaie de l’auteur portugais.
Également dans Bovary, Alma Palacios est comédienne et danseuse. Elle a joué avec le TG Stan, les chorégraphes et metteurs en scène Guillaume Guilherme, Emmanuelle Pépin, Thomas Fourneau, Jacinto Lucas Pires, Hélène Rocheteau. Elle apporte toute sa corporalité à ce texte.
Tous deux savent se glisser sans stress dans cette méthode de l’immédiat, dans une approche viscérale du texte.

Remonter Chœur des amants treize ans après, en imaginant ce qui est arrivé à ses deux personnages, est-ce pour Tiago Rodrigues expérimenter la portée d’un texte à travers les époques ou se mettre à l’épreuve devant sa propre écriture ?
Réponse sur le plateau du théâtre d’Istres, une proposition originale qui trouve son second souffle.

 

Marie Anezin

 

Chœur des amants de Tiago Rodrigues : au Théâtre de l’Olivier (Istres).

Rens. : www.scenesetcines.fr