Mort de la peine

Publié pour la première fois en français aux éditions Hors d’atteinte, En attendant qu’on se libère pose les jalons d’une réflexion sur le démantèlement du complexe carcéro-industriel aux États-Unis et des violences systémiques qui en découlent. Son autrice Mariame Kaba y développe la pensée d’une justice sans police ni prison.

Le nom de Mariame Kaba n’a que peu de résonnance en France. Aux États-Unis en revanche, ses actions militantes et ses nombreuses interventions dans les médias en font la figure de proue d’un mouvement abolitionniste qui émerge depuis quelques années. Comme le souligne Marie Hermann, directrice de la maison d’édition Hors d’atteinte, le contexte de publication de cet ouvrage n’est pas sans faire écho aux tragiques évènements qui assombrissent la France depuis 2016, même si elle nous met en garde contre des rapprochements trop hâtifs qui ne prendraient pas en compte la réalité sociale de ces deux nations.

Si elle ouvre la voie aux autres courants abolitionnistes, Mariame Kaba se nourrit de son passé militant et de ses actions en faveur du care, comme solution à un monde plus juste. Fille d’un militant des luttes d’indépendance de la Guinée, elle s’inspire des préceptes du panafricanisme, mais également de l’organizing, concept qui promeut la construction d’organisations et la mutualisation face aux institutions publiques, aux entreprises ou toute autre structure qui impacte leur vie. Éducatrice de métier, elle soutient également l’émergence de diverses formes de leadership chez les jeunes, comme le projet Nia, fondé en 2009, qui souligne l’importance de la responsabilisation des individus.

Mariame Kaba nous replonge dans une histoire de sociétés où le système carcéral n’a pas toujours existé et n’est pas toujours évident. S’appuyant sur des études autant que sur une observation empirique et participative du terrain, elle dénonce l’incarcération à une écrasante majorité des personnes noires aux États-Unis en comparaison de leur pourcentage dans la population globale.

Un florilège de textes issus de divers entretiens nous emmène dans le monde des statistiques avec pour objectif, en filigrane, de visibiliser certaines victimes de violences policières : Breonna Taylor, Georges Floyd, Rayshard Brooks, Oscar Grant, Michael Brown, Eric Garner, etc.

L’ouvrage nous montre qu’il existe de nombreuses alternatives à cette hyper-militarisation caractéristique de la société américaine, dont certains artistes s’emparent comme le musicien et poète Gil Scott Heron, le romancier James Baldwin, le rappeur Toddy Tee…

La prise de position de l’autrice peut paraître à première vue radicale, mais elle se justifie dans un contexte : les États-Unis détiennent le triste record de la plus grande population carcérale au monde. Si l’on rajoute le passé esclavagiste de ce territoire et la politique de financement du pays, qui « consacre davantage de ressources aux prisons qu’à l’éducation », cette réflexion nous apparait clairement nécessaire.

Si l’on peut reprocher certains aspects répétitifs que la forme de ce recueil suppose, En attendant qu’on se libère se pose comme un rempart contre l’oubli, délivrant un message optimiste qui pousse à l’action, où « l’amour est réuni dans toute lutte de principe », car l’espoir y est vu « comme une discipline. »

Laura Legeay

À lire : En attendant qu’on se libère de Mariame Kaba (éd. Hors d’atteinte)

Pour en (sa)voir plus : https://www.horsdatteinte.org/livre/en-attendant-quon-se-libere/