Chronique | Media Crash, qui a tué le débat public ? de Luc Hermann et Valentine Oberti
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Si les médias ne nous disent pas nécessairement quoi penser, ils nous disent bien souvent à quoi penser. Là est sûrement la principale leçon du documentaire Media Crash, coréalisé par Mediapart et la boîte de production Premières Lignes. Qui a tué le débat public ? interroge son sous-titre : réponse en 1h20 et trois parties (« Les incendiaires », « Les barbouzes » et « Les complices »). Le film est une plongée dans les coulisses de la fabrique de l’information, sur laquelle règne une poignée de riches industriels.
Espèce de plus en plus invasive dans la mare aux canards français, les gros poissons milliardaires veillent à ce qu’aucune investigation journalistique ne vienne trop perturber leurs juteux business. C’est du moins ce que s’attache à montrer le film, dont les enquêtes en cascades révèlent les pressions amicales — voire les franches menaces — exercées par les patrons de presse sur les rédactions. L’exemple le plus éloquent est certainement l’expédition punitive menée par Vincent Bolloré contre Le Monde après une enquête publiée sur ses activités à Abidjan. L’offense aura couté pas moins de 12 millions d’euros en recettes publicitaires au journal.
Pire encore : certains médias deviennent de véritables marchepieds idéologiques pour leur patron. Dans le documentaire, la chercheuse au CNRS Claire Sécail relève que près de 53 % du temps consacré aux sujets politiques de l’émission Touche pas à mon poste est réservé à l’extrême droite. Miroir grossissant de sujets qui n’en sont pas, l’émission badine chaque soir sur tous les sujets, mélangeant informations et opinions, racolage politique et divertissement médiatique. Et si toutes les bouffonneries de plateau sont permises, cela n’empêche pas des ministres comme Marlène Schiappa de coanimer une émission avec son présentateur-vedette Cyril Hanouna.
Pour le reste, Media Crash ne semble pas avoir d’ambitions cinématographiques (sur le plan formel, il se situe plus du côté du documentaire télévisuel, façon Cash Investigation) : sa dimension est davantage citoyenne. Et si l’on connaît bien le sujet, les révélations s’avèrent finalement assez peu nombreuses : le film est plutôt un condensé pédagogique des dérives d’un système médiatique à bout de souffle. Mais les deux réalisateurs, Luc Hermann et Valentine Oberti, ne s’en cachent pas : à quelques encablures des présidentielles, le projet vise surtout à porter la question des médias et de leur concentration au cœur du débat public. C’est pourquoi leur choix s’est porté sur une distribution en salles de cinéma, comme grandes agoras populaires, avec discussions ouvertes à la fin du film.
Gaëlle Desnos
Media Crash, qui a tué le débat public ? de Luc Hermann et Valentine Oberti : le 19/03 au Gyptis (136 rue Loubon, 3e), dans le cadre du Printemps du Film Engagé. Rens. : https://printempsfilmengage.fr/