Chroniques – Imaginaires numériques
Le plein des sens
A Aix et Marseille, le parcours Chroniques nous plonge dans un bain numérique en faisant appel à tous nos sens.
« C’est l’ici et maintenant que nous souhaitons observer avec les artistes, concepteurs, codeurs, intellectuels et créatifs. Des guides qui affirment que le numérique est devenu une civilisation et la technique une culture qui se distingue par la manière dont elle modifie nos regards sur les objets, les relations et les valeurs. » Le directeur de Seconde Nature, Mathieu Vabre, ne pouvait pas mieux planter le décor. Car si le numérique est désormais omniprésent dans nos vies (multiplication des écrans et des échanges dématérialisés, objets connectés et réalité virtuelle…), il reste encore une notion floue, à la terminologie instable, un sujet de fantasme ou de rejet qui, au-delà des nouvelles esthétiques qu’il convoque, est traversé de nombreux enjeux. Le numérique, pour qui, pour quoi ? Comment cette culture (voire cette « civilisation », pour reprendre le terme de Mathieu Vabre) entend-t-elle changer la société, le monde ? Fait-elle souffler un nouveau vent de liberté grâce au champ des possibles qu’elle élargit jusqu’à l’infini (ou presque) ? Ou, au contraire, accentue-t-elle les inégalités sociales ? Si le « parcours sensible » Chroniques proposé conjointement par Zinc à Marseille et Seconde Nature à Aix ne répond pas directement à ces nombreuses questions, il propose de commencer par solliciter tous nos sens en s’immergeant dans un bain numérique mêlant arts, musiques électroniques et ateliers.
Point d’orgue de la manifestation, l’exposition Irisations se décline en deux parties, l’une à la Fondation Vasarely (faisant écho à l’exposition anniversaire Multiplicité, qui célèbre les quarante ans du lieu aixois), l’autre à la Cité du Livre. Elle propose un rapprochement entre les problématiques liées à l’art cinétique et l’op art (autour des notions de vision, d’espace, de lumière et de mouvement), dont Victor Vasarely était justement l’un des chefs de file dans les années 50/60, et la création contemporaine, numérique ou pas. L’interactivité se retrouve bien évidemment au centre de l’exposition : ici, les œuvres se révèlent ou se transforment en fonction du point de vue. A l’instar des peintures holographiques de Timothée Talard, sur lesquelles apparaissent un arc-en-ciel suivant la position du soleil et les mouvements du visiteur, ou de l’installation Aurore de Fabien Leaustic, projection d’un arc-en-ciel via un dispositif de diffraction de la lumière. Des œuvres qui dépassent les simples préoccupations esthétiques pour interroger le rapport de l’homme à la nature et le contrôle de cette dernière à travers les nouvelles technologies, Timothée Talard poussant même le vice jusqu’à réaliser ses peintures à partir de dérivés d’hydrocarbure. Les installations d’Etienne Rey jouent aussi avec la notion de mouvement, qui induisent une perte des repères dans l’espace, en reproduisant l’ondulation de la lumière via un jeu de miroirs (Trame) ou à travers une simple mais étonnante structure spatiale (Incidences). L’installation proposée par le Japonais Hiroaki Umeda ne repose pas sur le mouvement mais sur la lumière, travaillée comme sensation physique, proposant une expérience sensorielle inouïe (et assez violente), dans laquelle un tableau se crée sur les paupières du visiteur tandis que ses oreilles sont malmenées par des accidents sonores. Vanité suprême de l’art (genre évoquant la finitude de l’homme), la bulle de savon fait quant à elle l’objet de deux installations étonnantes. Dans la première, Verena Friedrich crée une « machine de vanité » destinée à contrôler l’atmosphère de manière à stabiliser la bulle de savon pendant de longues minutes (jusqu’à une heure). Une expérience aussi poétique que philosophique, comme un défi à la mort, même à petite échelle. Dans la seconde, époustouflante, la Néerlandaise Nicky Assmann crée un mur en bulle de savon dans lequel on peut se refléter.
A la Cité du Livre, place aux œuvres monumentales. L’Infinity Room de Refik Anadol vaut à elle seule le déplacement. Par un jeu de lumières et des effets de miroir, l’installation immersive crée une kyrielle de sensations chez le visiteur, de l’impression de flotter à l’appel du vide. Vertigineux.
Via les Chroniques Sonores, ce cycle multidisciplinaire entend « explorer un large spectre des musiques électroniques », à travers six rendez-vous éparpillés entre Aix et Marseille, de Seconde Nature au Kiosque Léon Blum, du Théâtre Joliette-Minoterie à la Cité du Livre. Les musiques électroniques n’étant pas nées de la dernière pluie, il s’agit donc ici de dresser un large panorama des plus exigeants et pointus dans lequel se croisent les générations, entre nouveaux usages et résurrections : d’une performance audiovisuelle sensorielle d’Herman Kolgen aux turbines acides et ultra dansantes des dj sets du collectionneur de synthés Legowelt, en passant par The Pilotwings et J-Zbel du collectif BFDM, qui recycle naturellement les influences rave 90’s pour bousculer notre rapport aux esthétiques et à la temporalité en matière musicale. Sans omettre Zaltan et Syracuse, Oil et Fred Berthet des Troublemakers, puis Soundleaks, création tenue secrète avec, entre autres, des jeunes activistes techno marseillais du Metaphore Collectif. Peu importe les affinités, les démarches l’emportent dans ce qui demeure en fait, au-delà d’une immersion, une véritable expérience.
CC/JS
Chroniques – Imaginaires numériques : jusqu’au 2/10 à Aix-en-Provence et Marseille.
Rens. : chronique-s.org
Irisations : jusqu’au 24/09 à la Cité du Livre (8/10 rue des Allumettes, Aix-en-Provence) et jusqu’au 2/10 à la Fondation Vasarely (1 avenue Marcel Pagnol, Aix-en-Provence).