L’âge de déraison

Victoria Chaplin, fille de Charlie Chaplin, et son mari Jean-Baptiste Thierrée sont les créateurs du Nouveau Cirque en 1971, suivi du Cirque imaginaire et du Cirque invisible, en tournée depuis 1990. Entre les pitreries d’un clown à la tignasse blanche et la grâce d’une poétesse danseuse, s’immisce un questionnement sur le vieillissement…

Dans Le Cirque invisible, un dispositif scénique circulaire est le terrain de jeu de ce couple qui totalise cent quarante ans à eux deux en 2014. Après tant d’années, ils continuent pourtant à enchaîner dans un « Tour à Grande Vitesse » des wagons de numéros mêlant petites acrobaties, magie et poésie.
Disons-le tout de suite, le spectacle ne s’aborde pas comme du cirque contemporain. Ici, point de prouesses techniques ou physiques (quoique ne pas laisser s’échapper un lapin géant des Flandres et une dizaine d’oies de la scène requiert une certaine maîtrise), et le train de saynètes ne nous transporte pas dans des réflexions sur l’art et la société. Le spectacle relève assurément plus d’un théâtre populaire de l’absurde, que Beckett n’aurait pas renié. Les rires dans la salle en témoignent, quand bien même les cabotinages de Jean-Baptiste Thierrée s’avèrent parfois lassants par le rythme infernal de leur succession et leur effet comique inégal.
Si Monsieur est le roi de la farce, faite de tenues sans cesse réutilisées pour de nouveaux usages, Madame est bien la reine de la cuisson. Les objets et vêtements dans lesquels elle se glisse deviennent des créatures mobiles surréalistes et poétiques qui sortent du four scénique devant nos yeux. Tour à tour femme-ombrelle, femme-oiseau ou femme-vélo, Victoria Chaplin nous emmène dans une poésie sans âge qui touche tout le monde. La question du rapport de l’artiste avec la vieillesse est peut-être la dimension sous-jacente la plus intéressante du Cirque invisible car elle est justement apparente. Quand elle joue la funambule, Victoria Chaplin ne cherche pas à rester longtemps sur son fil. Quand son mari amène sur scène un vélo circassien à une roue, il ne fait que le pousser, et les tours de magie ne se révèlent pas impressionnants, voire parfois dévoilés en direct. L’ensemble est bien assumé et semble nous dire que l’âge doit avancer au grand jour, y compris pour les artistes, car l’homme vieillit mais pas l’art.

Guillaume Arias

Le Cirque invisible était présenté du 11 au 13/12 au Théâtre Toursky.