Colloque « L’histoire de l’art pour tous » à Marseille
Ars longa, vita brevis
En collaboration avec la Bibliothèque de Marseille à Vocation Régionale, le colloque national consacré à « L’histoire de l’art pour tous » dressera les perspectives d’une discipline spécifique et multiple dont le partage en direction de la jeunesse constitue un enjeu de la vie civique dans le dessein de former « des hommes et des femmes amoureux de leur culture, ouverts à celles des autres, […] sans amnésie, sans nostalgie. (1)) »
Loin d’être un partisan des théories déclinistes, Jean-Noël Bret, directeur scientifique du colloque, constate pourtant que « dans le pays qui a vu naître Nicolas Poussin et Marcel Duchamp, bien peu de nos bacheliers pourraient dire qui ils sont. […] Les repères leur manquent pour circuler par le regard et la pensée dans l’univers de l’art. » Au risque d’être livrés en consommateurs aveugles dans un marché des loisirs, invités à zapper entre les surenchères tapageuses d’un consumérisme artistique occupant l’espace et désertant le temps. Lorsque nous aurons soufflé une à une les bougies de cette leçon de Ténèbres généralisée, verrons-nous un jour nos érudits, nos chercheurs, sortir trop tard d’une splendide autarcie et divaguer dans la cité indifférente comme le rabbin fameux parcourait son village en criant « J’ai une réponse, posez-moi une question ! », obstinés à donner quelque chose à un monde qui n’en veut plus ? Miserere. Comment atténuer ce phénomène d’asynchronisation entre l’assouvissement d’un divertissement hédoniste que l’on voudrait sans médiation et la jouissance sublimée que promet le temps long de la connaissance ?
Pour conjurer ces mauvais augures, Jean-Noël Bret a voué sa tâche quotidienne depuis trois décennies à une promotion culturelle collective fondée sur l’histoire des arts où peinture, sculpture et architecture, cordes tendues côte à côte à sa lyre, entrent en diapason et s’accordent par le haut. Inlassable abeille de l’association Arts, Culture et Connaissance qu’il crée en 1994, il multiplie les actions de sensibilisation : conférences et présentations d’ouvrages liées à l’actualité de l’édition artistique, organisation de colloques, cours hebdomadaires d’histoire de l’art et voyages de découverte des grands sites culturels européens.
Rien n’est perdu…
L’intitulé de ce colloque reprend le titre d’un ouvrage de Nadeije Laneyrie-Dagen. L’historienne de l’art mettra en évidence l’impossible fixation d’un champ d’étude en perpétuelle régénération depuis, référence originelle, la publication des Vite de’ più eccellenti pittori, scultori e architetti de Giorgio Vasari en 1550… Elle témoignera de sa volonté d’inscrire sa réflexion dans les débats méthodologiques et sociétaux actuels.
Léa Saint-Raymond, historienne de l’art et économiste, examinera les conditions de possibilité d’une histoire « globale » de l’art connectée au reste du monde, dégagée d’un européocentrisme naguère souverain pour rendre compte de la pluralité des transferts culturels et du continuum de leurs modalités de diffusion depuis le couple domination/résistance (arts premiers…) jusqu’aux influences équilibrées de rencontres et d’échanges réciproques souvent idéalisés (Al-Andalus…).
Parce que la contiguïté des phénomènes n’est pas le plus sûr indice de leur corrélation, l’histoire de l’art ne progresse pas sur une ligne orientée mais occupe une sphère aux multiples entrées. Pénétrer par l’une met en communication avec toutes les parties et, comme dans un kaléidoscope, les correspondances varient à chaque secousse de l’appareil. Le sociologue Alain Quemin et le philosophe Pierre-Henry Frangne substitueront aux approches classiques (chronologies, artistes, œuvres, styles…) d’autres instruments pour penser l’art et en faire miroiter les enjeux dans le moment où les paradigmes contemporains depuis Marcel Duchamp bousculent la notion essentialiste d’objet d’art et que le concept même de Beauté cher à Nicolas Poussin est devenu disqualifiant !
… pourvu que nous sachions vouloir (2)
Depuis l’ère malrucienne, les investissements publics affectés à la valorisation patrimoniale ou à la création artistique se justifient in fine par leur capacité à concerner un large public, impératif correcteur des inégalités culturelles porté par le même élan que celui fixé aux domaines de la santé ou de l’éducation au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Envers de la médaille : la culture s’est placée sous l’imperium d’une médiatisation pour laquelle l’audience devient la principale mesure de légitimité. Cependant, des entreprises de haute exigence sont parvenues à percer telle l’émission Palette sur la chaîne Arte. « La série a été diffusée dans le monde entier en une trentaine de langues et a connu un succès qui m’a stupéfié », confie Alain Jaubert, son réalisateur. Il nous racontera les péripéties de décryptages au contact rapproché des plus grands chefs-d’œuvre.
De nouvelles technologies ont pris le relais de la télévision pour se faire « passeur d’images ». À partir de quelques cas concrets, Natacha Pernac s’interrogera « sur les dispositifs de médiation tirant le meilleur parti des immenses opportunités offertes » sachant l’impact de ces évolutions sur les jeunes générations.
L’archéologue Myriame Morel-Deledalle a dirigé le Musée d’Histoire de Marseille jusqu’en 2007. Elle évoquera la création de cet établissement, en 1983, dans un contexte « compliqué » de projet urbain « puissamment orienté » par la municipalité. L’occasion de revenir sur une passionnante et périlleuse relation entre des élus désireux de construire l’argumentaire de leur politique culturelle et des acteurs de terrain soucieux de le décrypter, de se positionner et d’être à la hauteur des enjeux.
Jean-Noël Bret nous rappellera que l’accessibilité d’œuvres éloignées dans le temps n’est pas complexe en soi mais soumise à des systèmes référentiels dont les clefs peuvent s’acquérir « avec la facilité d’un jeu d’enfants ». Qui a vu Saint Étienne se promener, dans les tableaux de la Renaissance, avec un caillou en équilibre sur la tête, aura une idée du genre d’énigme à résoudre ! L’enseignement de l’histoire des arts dans les établissements scolaires, en parallèle à celui des pratiques artistiques, est évidemment crucial dans l’objectif d’une démocratisation de l’accès à la culture malgré les difficultés de sa mise en place concernant les horaires spécifiques, la formation des enseignants, le contenu des programmes… Fabien Oppermann, Inspecteur Général chargé de l’histoire des arts au ministère de l’Éducation Nationale, présentera un inventaire des réalisations et des problématiques.
Pour les intervenants à l’Alcazar, la « culture pour tous » n’est pas un simple élément de langage, ni une posture drapée dans les plis conventionnels de l’étendard républicain, mais un acte de foi dans l’éducation. En approfondissant, auprès de leurs auditeurs, la compréhension des arts visuels, ils souhaitent faire de notre écoute, de nos lectures, de notre regard, davantage que des rencontres fortuites. Ils nous invitent, par le secours d’un art de la conversation avec les œuvres, à entrer en compagnie durable avec elles en ne se contentant plus du premier terme de nos impressions afin de laisser émerger d’un écosystème de connaissances ce « je ne sais quoi » du plaisir ou de la fascination produite par l’image créée qui, depuis Lascaux, pourrait être une des finalités supérieures de notre communauté de destins ou, à tout le moins, un axe selon lequel chacun, dès le plus jeune âge, peut apprendre à déployer sa sensibilité naturelle.
Roland Yvanez
Colloque « L’histoire de l’art pour tous » : les 15 & 16/09 à l’Alcazar (58 cours Belsunce, 1er).
Rens. : www.bmvr.marseille.fr
Notes
- Histoire de l’art pour tous, Nadeije Laneyrie-Dagen (éditions Hazan[↩]
- De Gaulle, Mémoire de guerre, 1959[↩]