Comment les communes riches ont pillé la métropole Aix-Marseille-Provence
Pour la chambre des comptes, sur tous les versements faits aux communes chaque année par l’institution, 178 millions ne devraient pas l’être. Surtout, ils profitent en priorité aux communes déjà très aisées.
L’enjeu
Benoît Payan estime qu’il est temps de « faire valoir la justice sociale et fiscale dans cette métropole. » Aujourd’hui, Marseille est une des villes les plus lésées dans la répartition.
Le contexte
En 2021, en contrepartie de l’aide pour les transports, le président de la République a demandé une refonte du fonctionnement de la métropole pour assainir ses mécanismes financiers.
« Excusez-moi, c’est très technique, mais il faut qu’on soit très clairs sur cette question parce qu’il en va de l’avenir de cette ville et de son territoire. » On ne saurait mieux dire, tant les négociations en cours autour de la métropole Aix-Marseille-Provence donnent le tournis par leur complexité et les enjeux qu’elles brassent. Vendredi 30 septembre, dans un discours fleuve au conseil municipal, Benoît Payan s’est employé à les mettre en lumière. « On est désormais face à nos responsabilités et face à l’Histoire, nous n’avons pas le droit collectivement d’échouer », insiste le maire (DVG) de Marseille.
Avant lui, Yves Moraine (LR) a porté pendant dix minutes la voix de la présidente de la métropole Martine Vassal (DVD) sur le nouveau partage des compétences entre les deux institutions. Tournant principalement autour de l’entretien des rues et de leur nettoyage, cette évolution qui concerne les 92 communes d’Aix-Marseille Provence est issue d’une loi voulue par Emmanuel Macron après sa visite de trois jours en septembre 2021.
Mais, pour Benoît Payan, la Ville, qui dispose par cette loi dite “3DS” d’un pouvoir de blocage sur la totalité du processus, ne saurait l’approuver sans pouvoir « changer le cours des choses » sur le plan financier. « Il ne s’agit pas d’affronter les autres communes, il s’agit de faire valoir la justice sociale et fiscale dans cette métropole », a-t-il posé. Cette volonté acte ainsi une réalité souvent éludée par le personnel politique : Aix-Marseille Provence est une métropole construite pour les communes riches.
1. La commande du président Macron
Pour se lancer dans cette quête, Benoît Payan a sous le coude « la charge portée par la chambre régionale des comptes (CRC). » Comme les 91 autres maires et la présidente de la métropole, il a été destinataire fin août de la centaine de pages d’analyse sur les « relations financières » au sein de ce vaste espace d’1,8 million d’habitants. Ce travail correspondait à une commande de la loi 3DS, face à un souhait exprimé par le chef de l’État que le milliard d’euros de financements débloqué pour les transports « ne se disperse pas en redistributions inutiles, en compensation diverses, en paiement de fonctionnement indus, mais qu’il garantisse des réalisations concrètes utiles aux déplacements de tous. »
Le rapport, non encore rendu public, mais dont Marsactu a déjà détaillé les conclusions, conclut à un siphonage en règle de la métropole par ses membres : selon les calculs de la chambre, en 2021, 178 millions d’euros de reversements aux communes, soit près de 30 %, n’auraient pas lieu d’être.
Ce constat n’est pas nouveau. En 2017, Jean-Claude Gaudin rapportait en ces termes la réponse de l’État qu’il sollicitait, déjà, pour financer le développement des transports en commun : « Vous donnez trop d’aides aux 92 communes et pas assez aux projets structurants. » Ce qui est plus inédit, c’est que le sujet est officiellement posé sur la table, la loi obligeant la métropole à organiser un débat dans les deux mois qui suivent l’envoi de l’avis de la CRC.
2. À qui profite le crime ?
Mais l’apport principal de la chambre régionale des comptes est de mettre un montant pour cette captation de richesse en face de chacune des 92 communes. Ce travail d’éclairage vise à donner aux élus les outils pour corriger cette situation, s’ils le souhaitent. Les magistrats y ajoutent une conclusion lourde de sens politique et qui n’avait jamais été exprimée aussi nettement : ces flux financiers se font au détriment de la solidarité territoriale. Dans cette métropole décrite depuis dix ans comme « une des plus inégalitaires de France », ce sont les communes les plus riches qui ont tendance à en bénéficier.
Issue de l’histoire et de l’inventivité des élus pour défendre leurs budgets communaux, la répartition de ces reversements indus n’est pas uniforme. Alors que la moyenne métropolitaine est de 94 euros par habitant, ils ne représentent que 11 euros par habitant à Marseille, 60 à Aubagne, 142 dans le pays d’Aix, 371 à Istres et plus de 600 à Martigues et Fos-sur-Mer. À titre d’exemple, proportionnellement à sa population, le pays d’Aix profite quatorze fois plus de ce système que Marseille. Ce territoire s’est même spécialisé dans une autre technique, dénichée par la CRC : ses communes ont capté la quasi-totalité des subventions d’investissement accordées par la métropole depuis sa création en 2016, soit plus de 250 millions d’euros. En son sein, on trouve pourtant des communes comme Cabriès, où le revenu par habitant est 40 % supérieur à celui de Marseille et où le taux de pauvreté y est cinq fois plus faible.
Pour Martigues, où ce sport local est porté à son paroxysme (six fois la moyenne), les caractéristiques sociales ne sont pas aussi favorables ; en revanche, le budget communal est déjà boosté par l’industrie qu’elle accueille. Les deux combinés lui permettent d’afficher des impôts parmi les plus bas de la métropole.
3. Un pillage en règle
Il serait tentant de croire que la situation actuelle n’est que le fruit d’une histoire politique tumultueuse. La démonstration de la CRC montre tout le contraire. Il s’agit d’une série d’actions volontaires concentrées entre les premières annonces de création de cette métropole, en 2012, et aujourd’hui, avec un point d’orgue logique au moment de la création effective de l’institution, en 2016. Dix ans de pillage.
Une grosse douzaine de décisions ont organisé l’effeuillage de l’artichaut métropolitain en dévoyant le système des attributions de compensation. À l’origine, celui-ci vise à reverser aux communes une part d’impôts perçue par l’intercommunalité, mais qui leur revient de droit. Un calcul très normé qui, une fois fixé, est immuable. Mais à l’aube de la naissance de la grande métropole, les communes se sont évertuées à rajouter dans ce fonds sanctuarisé des sommes qui n’avaient rien à y faire. Il en va ainsi de la dotation de solidarité qui est censée aider les communes dont le budget ou les revenus de la population sont sous la moyenne. On pourrait ajouter toute une série de lignes budgétaires qui sont venues artificiellement sécuriser la manne des communes.
Cette situation était sue de tous en 2016, mais elle a été vécue comme une manière d’accompagner la naissance de la nouvelle intercommunalité, face à l’hostilité des maires. Depuis, aucune rectification n’est intervenue. Pire, d’autres décisions sont venues accroître le phénomène. L’occasion offerte par la loi 3DS de remettre à plat la situation ne se représentera pas mille fois. Les magistrats financiers documentent cependant la « forte dépendance » de nombreuses communes à ce système, qui ne pourra être détricoté que de manière « progressive », surtout dans un contexte d’explosion des coûts de l’énergie.
4. Marseille réclame sa part
Dans son discours au conseil municipal vendredi dernier, Benoît Payan ne se posait pas tant en métropolitain qu’en occupant de l’hôtel de Ville. « On a la responsabilité de défendre les Marseillaises et les Marseillais », a-t-il lancé. Son angle d’attaque se concentre ainsi sur un pan du travail de la chambre, celui qui permettrait à la Ville de Marseille d’améliorer ses marges de manœuvre budgétaires.
Car, parmi les 178 millions d’euros annuels qui ne devraient pas être reversés selon la chambre, une bonne part, 120 millions d’euros, correspond à la fossilisation des dotations de solidarité communautaire (DSC). Ce n’est pas le principe de cette DSC que la chambre remet en cause, mais le fait d’avoir figé les montants et la répartition, sans tenir compte des nouveaux équilibres entre les 92 communes. Avec ce mécanisme de « solidarité » dévoyé, Marseille ne reçoit que six des 120 millions. Elle concentre pourtant près de la moitié de la population de la métropole, avec un quart de la population considérée comme pauvre.
Les magistrats appellent donc à remettre les choses à plat, en respectant au minimum les critères légaux du revenu par habitant et de la richesse fiscale de la commune. Benoît Payan ne dit pas autre chose lorsqu’il appelle à « prendre en compte les charges de centralité de cette ville, ses difficultés, le nombre de ses habitants, le nombre de quartiers prioritaires de la politique de la ville. » Selon la CRC, si Aix-Marseille Provence se calait sur le volume des autres métropoles, cette DSC serait réduite à 57 millions d’euros par an, soit un peu moins de la moitié du montant actuel. Mais rien n’empêche d’aller au-delà pour amortir le choc et Marseille serait de toute façon gagnante.
« Cette dotation de solidarité, c’est quelque chose d’essentiel, et c’est mal parti, a estimé le maire, qui souhaite calmer le tempo de la réforme. Il faudra passer par la loi sinon nous ne nous en sortirons pas. » « Ça ne risque pas d’être réglé au 31 décembre 2022 », a confirmé Yves Moraine, a contrario de Martine Vassal qui, officiellement, pousse pour respecter cette date butoir pour les transferts de compétences. Pour calmer les inquiétudes financières de son interlocuteur et l’amener à signer, Yves Moraine change de casquette et se dit prêt à piocher dans une autre poche : vice-président délégué au budget du département, il pourrait conclure un nouveau plan de soutien pour Marseille, après avoir débloqué 200 millions d’euros en quelques années. Curieuse manière de corriger les écarts métropolitains.
Julien Vinzent, avec Jean-Marie Leforestier