Contre mauvaise fortune de Jack Common
Common people
L’excellente maison d’édition indépendante marseillaise Agone publie la première traduction française de Jack Common (1903-1968), un des rares auteurs à avoir écrit sur la condition ouvrière « de l’intérieur ».
Véritable Jack of all trades, tour à tour mécanicien en usine, vendeur dans un magasin de chaussures ou employé dans une étude d’avoué, Jack Common s’installe à Londres en 1928. Deux ans plus tard, il signe un article dans la revue littéraire et politique The Adelphi, et fait rapidement son chemin dans la maison : d’abord contrôleur des ventes, il devient directeur adjoint en 1932, puis directeur de 1935 à 1936. C’est là qu’il se lie d’amitié avec George Orwell (dont la maison a par ailleurs récemment édité une nouvelle traduction de 1984).
Premier roman d’une trilogie inachevée, Contre mauvaise fortune raconte l’enfance de Willie Kiddar, un personnage qui ressemble étrangement à son auteur, dans un quartier ouvrier de Newcastle au début du XXe siècle. Un récit teinté d’éléments biographiques, qui rend la narration particulièrement vivante.
« C’est dans la chambre du fond d’un appartement à étage, dans une rue parallèle à la voie ferrée où une locomotive à l’arrêt sifflait pour obtenir le passage, que je choisis mes futurs parents » : un père cheminot, « colossal et de belle figure », et une mère qui deviendra par la suite infirme et alcoolique.
Contre la mauvaise fortune, chacun s’organise. Common dépeint avec un humour décapant le monde de la rue, ses périls, ses plaisirs et ses valeurs — à commencer par la solidarité. « J’appartenais à cette rue au même titre que j’appartenais à une des familles qui l’habitaient, et cette certitude sociale restait ancrée en moi comme en chacun de nous, en dépit des crises qui éclataient ponctuellement entre foyers. » Pour les gamins, la rue est un territoire d’amitiés, de jeux, de petits larcins et de fêtes. Celui de la liberté aussi, contre un système d’éducation principalement fait pour apprendre aux enfants d’ouvriers à supporter l’ennui qui les attend quand ils seront ouvriers à leur tour. Dans le festival d’odeurs des marchés couverts aux sandwiches dégoulinant de saindoux, la cacophonie des marchands ambulants, les pétarades de la nuit de Guy Fawkes, on croise aussi les adultes, dont l’auteur tire une galerie de portraits tous plus réalistes et truculents les uns que les autres — comme le « gang des mères », des ménagères alcooliques qui mettent leur mobilier au clou pour aller au pub.
On a plaisir à découvrir une écriture drôle, pointue et ciselée, et à aborder à travers le regard décalé de l’enfance le quotidien de la vie ouvrière au début du siècle, les liens forts de la communauté dans le jeu, la fête ou la grève, malgré les violences familiales, l’alcool, et la guerre de 14-18 qui se profile.
Une lecture dans laquelle on se coule le sourire aux lèvres et qui nous renvoie parfois avec nostalgie à notre propre enfance.
Céline Lassaigne
À lire : Contre mauvaise fortune de Jack Common (éd. Agone)