Cook’n’Roll de Marianne Doullay
On s’fait un bœuf ?
Mêlant recettes alléchantes et photos de la cité phocéenne, le livre Cook’n’Roll de Marianne Doullay rend hommage à la cuisine locale et familiale. Focus sur un ouvrage qui incite à « se faire du bien ».
« Le repas gastronomique des Français est une pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes… [Il] met l’accent sur le fait d’être bien ensemble, le plaisir du goût, l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature. Parmi ses composantes importantes figurent : (…) l’achat de bons produits, de préférence locaux, dont les saveurs s’accordent bien ensemble (…) ; et une gestuelle spécifique pendant la dégustation (humer et goûter ce qui est servi à table). »
Nous sommes d’autant plus d’accord avec cela que c’est l’UNESCO qui le dit lorsque, en 2010, elle inscrit le repas gastronomique français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. On y retrouve donc moult ingrédients qui alimentent nombre de repas amicaux et familiaux : qualité et proximité des produits utilisés, plaisir de déguster et d’échanger. Car ce sont bien les paroles qui sont bues aussi.
Sur la vague de cet engouement pour la cuisine « maison » surfent de nombreux sites internet, blogs participatifs et livres de recettes. Ici, le grand format, à la reliure épaisse et aux pages garnies d’illustrations photoshopées parfois à outrance, côtoie les petits livres humbles à la sincérité première et la démarche véritablement engagée. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient Cook’n’Roll de Marianne Doullay.
En guise de mise en bouche à l’encre de verve, une dédicace est lancée à plus d’une dizaine de personnes venues « partager la régalade à la maison », suivie d’un portrait de l’autrice à la sauce Marsactu agrémenté d’une recette de potimarrons farcies. Quand on ajoute à cela le fait que Lolita (surnom de Marianne en clin d’œil au groupe de rock Les Lolitas) est fondatrice de feu Taktik (l’ancêtre de Ventilo, 1988-2000) et présidente de l’Association du Cours Julien, on comprend tout de suite que la dimension locale sera reine dans Cook’n’Roll. Ce que ne contredira pas la séculaire imprimerie La Platine et sa machine mythique Heidelberg au cœur du 1er arrondissement, qui a donné une chair de papier aux idées de Marianne. D’ailleurs, les circuits-courts, qui favorisent les fournisseurs locaux, sont importants pour l’auteur, qui préfère « payer le plus directement possible le producteur et accepter de payer le prix qu’il faut pour une bonne santé. » « Faites-vous du bien », comme l’indique son introduction.
Chez Marianne, la cuisine est d’abord une affaire de famille. Un père qui porte, pèse, et livre avant de vendre fruits et légumes quand il monte sa propre affaire, un frère et un neveu chef, et une mère qui « cuisinait toujours, avec des fois, trois plats différents pour qu’on mange tous ce qu’on aimait. » Rien d’étonnant finalement qu’elle remporte en 2000 le premier prix du concours international de soupe au pistou.
Acquérir une telle reconnaissance, c’est bien, cuisiner pour les potes en suivant les recettes de maman, chiner et improviser, c’est pas mal aussi, mais rationaliser cet éparpillement par un ouvrage, c’est quand même mieux quand on veut transmettre. La carotte est toute trouvée. Soixante-cinq recettes vont alors être éprouvés, rassemblées, décrites de manière compréhensible par le plus grand nombre, et illustrées par vingt-cinq photos de Marseille, autre passion de Marianne.
Cook’n’Roll peut démarrer en musique. Le petit poucet Marianne a certes déjà semé quelques cailloux : un frère et une mère travaillant à la Maison Hantée, des notes de musique qui égayent les pages de son ouvrage, et une police de caractère très rock’n’roll il est vrai. Mais une explication de texte supplémentaire était nécessaire. Outre le fait que cuisiner soit un peu comme faire sa gamme, qu’il y ait de l’improvisation et de la réappropriation de standards, et que l’on « puisse faire les choses à sa sauce tout en restant dans la mélodie », l’objectif était de mettre sa cuisine à la portée (musicale) de tous.
Ensuite, pour rappeler « ce qui a du goût, qui est vivant, palpable, avec des odeurs, des saveurs », il faut montrer son respect à la nature. Quoi de mieux alors, pour entrer dans le vif du sujet, qu’un calendrier des fruits et légumes de saison tout en couleurs adaptées ? Les recettes vont ainsi démarrer avec l’hiver et finir à l’automne pour la partie saisonnière de l’ouvrage. De manière classique, chaque entame se fait par les ingrédients et leur quantité associée. Ce qui l’est moins, ce sont certains titres humoristiques (C’est ma première surprise farcie, La fève du samedi soir, Mangez-moi, mangez-moi, mangez-moi) et le fait que les recettes soient écrites en blocs de textes longs, comme un roman plutôt qu’avec sauts de ligne et tirets en frites. Peut-être une évocation implicite au polar que Marianne est en train d’écrire… Bref, pas le temps de reposer le couvert qu’une vue de la rade de Marseille nous invite à démarrer les recettes « Mer » avant de retrouver la terre ferme et ses viandes et tartes salées. Quelques apéros pour digérer nous sont ensuite proposés avant de finir la fête par les desserts et d’aller se coucher mentalement bien repus. Comme « une recette n’est jamais figée, qu’elle est sans cesse renouvelable », un espace est laissé libre pour que les notes personnelles ajoutent leur grain de sel. Le lecteur peut ainsi s’endormir en rêvant aux prochains repas qu’il pourra concocter.
Guillaume Arias
Dans les bacs : Cook’n’Roll de Marianne Doullay (Association Passe-moi le truc).
Présentation le 20/03 à la boutique Cristal Limiñana (99 boulevard Jeanne d’Arc, 5e)