Décor astral
Jusqu’au 18 décembre à la Galerie des Grands Bains Douches, l’association art-cade accueille CosmicomiX, une exposition à la frontière entre art et sciences, dans laquelle vingt-quatre artistes s’interrogent sur le cosmos dans une dimension contemporaine mais aussi en miroir avec le passé. Une prise de recul non dénuée d’humour.
Arrivé au couloir d’entrée de la galerie, n’oubliez pas de lever les yeux. Le premier des Météores d’Evariste Richer se présente sous la forme d’une installation composée d’un tasseau et d’une boule de bowling, posée en son sommet. Son équilibre précaire, quasiment menaçant, nous renvoie impitoyablement à notre condition humaine, la fascination ou l’effroi que tout inconnu suppose. Non loin de la grille tarifaire encore gravée sur la pierre, témoin de l’histoire de ce lieu, le deuxième Météore se fait plus discret, jouant avec notre imaginaire. Impression jet d’encre effectuée à partir d’une photo de chewing-gum traînant sur le bitume, elle nous invite à repenser l’idée de cosmos à partir d’un objet trivial.
« Chez l’homme primitif et chez les classiques, le sens cosmique était l’attitude la plus naturelle ; nous au contraire, pour affronter les choses trop grandes et sublimes, nous avons besoin d’un écran, d’un filtre, et c’est là la fonction du comique. »
Reprenant la notion de CosmicomiX chère à Italo Calvino, Jean-Marc Lévy Leblond a fait une sélection d’œuvres qui détonne de la vision parfois trop solennelle que l’on peut avoir quand il s’agit de se figurer l’espace. Physicien de métier et professeur émérite de l’université de Nice-Antipolis, il a écrit deux ouvrages traitant de la porosité entre l’art et la science, convaincu que ces deux domaines peuvent se nourrir l’un l’autre.
Pour preuve, une sorte de carte des étoiles faite à partir de brûlures de cigarettes tombées sur un tissu, ornant autrefois la devanture d’un bureau tabac. L’artiste Emmanuel Régent se rendra compte plus tard que le nom de la rue dans laquelle il l’a ramassé, Cassini, se réfère elle-même à une famille de quatre générations d’astronomes niçois du 17e siècle.
Une reproduction d’une plaque photographique exposée à côté fait office de clin d’œil facétieux aux erreurs scientifiques. Cette Célestographie, que son auteur Auguste Strinberg avait pris pour un ciel étoilé, se révèle en effet n’être que particules et impuretés coincées dans son appareil.
Autre hommage aux « anciens », signé Jason Karaïndros, Galilée prend la forme d’une clef de laiton de forme sphérique, en référence à cette phrase célèbre « Et pourtant, elle tourne » (qu’il n’aurait d’ailleurs jamais prononcée).
Suivant votre déambulation, vous y découvrirez Thierry Lagalla, dans ses aventures spatiales à la fois absurdes et fantasques, ou bien la démarche d’inversion de l’apesanteur du photographe et sculpteur Philippe Ramette, toujours en costume noir, protégé de la gravité à l’aide d’attaches adaptées.
Si des publicités de l’époque de la conquête spatiale souhaitent prévenir nos ambitions démesurées, Caroline Challan, pour sa part, tente de toucher du doigt la voûte du ciel, y laissant par la même occasion l’empreinte de ses mains. Référence peut-être à l’obsession de l’homme de salir tout ce qu’il trouve, jusqu’à en tapisser l’espace de ses déchets encombrants…
Nelly Maurel se fait quant à elle nouvelle cliente Amazon et ajoute la Grande-Ourse au panier, tandis que Karine Rougier nous présente une femme jonglant avec des planètes, sur une inspiration d’une gravure de Pierre Chardin.
Suite à son voyage en Géorgie, Sylvestre Meinzer assemble les différentes facettes d’un crâne trouvé en Géorgie, dont le résultat ressemble à s’y méprendre à la Lune. Une face invisible qu’elle nomme « Lilith », la lune noire, et toute l’imagerie qu’elle véhicule sur le féminin, ou l’imprévisible qu’elle suppose.
On clôture cet épisode de réflexion typiquement féminin avec la vidéo d’Eva Medin, digne d’un film de série B de science-fiction, où il est question d’ennui dans un espace clos automatisé, en parallèle avec l’univers de l’enfance.
Tous ces détournements, bien qu’ils nous fassent sourire, sont aussi empreints d’une certaine poésie. Ils nous font voyager dans le passé, dans le présent et dans cet avenir incertain qu’on essayera toujours de contrôler afin d’effacer notre crainte. Les poussières de Vincent Ganivet s’envolent et tournoient, telle une Voie lactée, autour d’un simple compresseur de chantier renommé Pulsar, tandis les sculptures-planètes de Cécile Beau nous relient aux pigments de la terre. Sophie Blet, quant à elle, nous force à la patience, créant un réceptacle minuscule, censé accueillir, à terme, une météorite.
L’exposition pensée de manière circulaire, peut-être fidèle à sa structure de cour triangulaire autour du jardin placé en son centre, nous ramène patiemment au point de départ, pour une nouvelle rétrospection.
Laura Legeay
CosmicomiX : jusqu’au 18/12 à Art-Cade – Galerie des Grands Bains Douches de la Plaine (35 bis rue de la Bibliothèque, 1er).
Rens. : https://art-cade.net/