Courrier du cœur | Emmanuel Vigne
Au-dessus du vide
Les mille sujets, mille films, mille vies, couchés depuis plus de vingt ans dans ces colonnes, s’effeuillent désormais tel un flip-book : l’aventure se raconte en quelques secondes. Mais distorsion du temps oblige, celle que le cinéma impose, chacune de ces secondes ont mille années d’histoire(s). Alors je — ce premier je que j’utilise — ne déposerai ici qu’un photogramme : le baiser au-dessus du vide de l’Enfance d’Ivan, premier long métrage d’Andreï Tarkovski, comme pour revenir aux sources d’un faux adieu. Le film du paradoxe et de l’ambivalence, témoignant d’un état des choses dans les heures que nous vivons, micro et macroscopiques. Le baiser, c’est celui que j’envoie à toutes celles et ceux qui ont donné vie à cette poignée de décennies, de la chère équipe de Ventilo aux regards curieux qui ont parcouru ces pages (je crois, pardon de cette digression, que c’est là le moment de lever le voile sur l’incommensurable courage du journal de m’avoir si longtemps supporté, dans l’attente de papiers sempiternellement envoyés dans les dernières secondes !). Le vide, en revanche, c’est celui d’une solidarité qui semble s’être perdue dans les limbes des intérêts individuels, partout, de manière exponentielle, jusqu’aux foules culturelles. L’état du monde, la résultante, s’en fait le triste écho : oui, tout est indiciblement lié. Enfin le vide, c’est celui que tu laisseras, car je te tutoie, toi, Ventilo.
Impossible de penser à demain : continuerons-nous à laisser le vide se creuser malgré nos étreintes en suspension (ou danser sur un volcan, c’est selon), ou pouvons-nous espérer combler ce vide des émotions et attentions les plus nobles que nécessitent les élans collectifs ? D’ici la réponse, je vous embrasse, de toute mon âme.
Emmanuel Vigne (Monsieur Cinéma de Ventilo depuis sa création)