Culture microbienne
La semaine dernière, dans sa chronique de 8h55 pour la matinale de France Inter, Alex Vizorek tentait d’expliquer l’absurdité des mesures gouvernementales de France et de Navarre (et de Belgique) face à la pandémie, en décrivant le covid comme un grand amateur de culture, féru de théâtre (même de Claudel) et de grands rassemblements festifs dans tout l’hexagone, doublé d’un noctambule compulsif à Marseille sitôt minuit et demi sonné.
En cinq petites minutes, l’humoriste rappelait ainsi avec brio l’injustice faite aux acteurs de la culture, plongés dans la sidération, l’effroi et l’incertitude depuis que le virus a franchi les frontières européennes il y a six mois.
Car le monde culturel aura été le premier à devoir se « confiner » : la rédaction de Ventilo se souvient de ce vendredi 13 mars de triste mémoire, qui aura vu notre boîte mails se remplir de messages d’annulations, reports de spectacles et autres fermetures de lieux, préfigurant ainsi la « mise à l’abri » généralisée qui allait frapper le pays au lendemain du premier tour des municipales.
On s’en souvient d’autant mieux que ce numéro de rentrée s’est bouclé non sans crainte, dans l’attente des nouvelles mesures gouvernementales spécifiques à la cité phocéenne — transformée cet été en aimant à touristes et star incontestée d’Instagram — et dans l’appréhension d’un nouveau 13 mars, d’autant plus après la fermeture définitive de certains lieux (le Théâtre des Argonautes, la Machine Pneumatique…) et l’insoutenable incertitude quant à l’avenir d’autres structures, à commencer par les (petites) salles de concert et de spectacle indépendantes.
Le traitement du monde culturel par nos dirigeants appelle de nombreuses questions, notamment — et surtout — celle de la distanciation physique : un théâtre est-il plus dangereux qu’une rame de métro ou un TGV ? Et quel signal le gouvernement a-t-il voulu envoyer en nommant à la rue de Valois, à la suite du fantomatique Franck Riester, une ancienne pensionnaire des Grosses Têtes ?
Quant aux deux milliards promis sur les cent que compte le plan de relance annoncé par le gouvernement (sans plus de détails quant aux modalités de déploiement de cette dotation), ils semblent bien étriqués au regard de l’apport de la culture à la « richesse » du pays, même si l’on s’en tient aux seules données économiques — un rapport réalisé en 2014 par les ministères de l’Économie et de la Culture l’évaluait ainsi à 57,8 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 3,2 % du PIB (1).
À l’instar des enseignants, présentés en héros pendant deux mois avant d’être vilipendés par des abrutis dès le déconfinement, tous ceux qui nous ont permis de continuer à nous enrichir, nous divertir et nous faire penser le monde pendant cette annus horribilis seront-ils les grands laissés-pour-compte du « monde d’après » ? Et si l’on doit réinventer notre futur, ne faudra-t-il pas impérativement passer par la culture ?
CC
Notes
- Une autre étude réalisée la même année par le cabinet privé Ernst & Young évaluait quant à elle le chiffre d’affaires direct des industries culturelles et créatives à 61,4 milliards d’euros.[↩]