Dans la gueule du loup

Dans la gueule du loup

Pour le douzième Festival de Marseille, les artistes N+N Corsino nous font découvrir la saisissante installation interactive Seule avec loup. Un voyage visuel et sonore captivant, où des danseurs virtuels nous invitent à pénétrer les différents espaces dans lesquels ils se meuvent et à interagir avec eux…

Pour le douzième Festival de Marseille, les artistes N+N Corsino nous font découvrir la saisissante installation interactive Seule avec loup. Un voyage visuel et sonore captivant, où des danseurs virtuels nous invitent à pénétrer les différents espaces dans lesquels ils se meuvent et à interagir avec eux…

Nicole et Norbert Corsino, chorégraphes et chercheurs marseillais, élargissent depuis une vingtaine d’années le champ d’exploration des mouvements corporels et de la danse en passant de l’espace de la scène à celui de l’écran et de l’installation. Ils nourrissent rapidement leurs recherches par les usages des nouvelles technologies. Quelles nouvelles incarnations du mouvement peuvent être obtenues à partir de l’utilisation des outils multimédias, quelle liberté peut être offerte aux corps dans l’espace, comment l’espace s’en trouve à son tour modifié ? De telles interrogations motivent l’élaboration de leur univers virtuel. Ils naissent toujours du mouvement de corps réels saisis numériquement par des capteurs, et y retournent. Reprise féconde — fécondée par le numérique. Si la 3D fonctionne comme un nouveau territoire de représentation et un espace d’invention pour la danse, c’est aussi, inversement, le numérique qui se trouve enrichi par le travail chorégraphique, par l’expérience et la connaissance des mouvements des corps par les danseurs.
L’installation Seule avec loup, créée dans le cadre du Festival Agora au Centre Pompidou en 2006, fonctionne comme un territoire visuel et auditif à pénétrer, à explorer, et aussi, dans une certaine mesure, à activer ou révéler. Notre attention est rapidement dirigée sur l’écran géant où différentes séquences d’images concourent à la création d’un univers chaque fois original. Couleurs, formes, sons, rythmes de déploiement de l’espace et dynamique gestuelle des danseurs virtuels fonctionnent déjà comme un spectacle en soi. Le son contribue largement à une perte de nos anciens repères et au désir d’habiter ce nouveau monde. Il semble nous parvenir de différentes sources spatiales, nous envahir et nous atteindre[1]. Une voix se fait entendre : « Je plonge dans la forêt, ma maison est dans la forêt, la forêt est au bord de la mer… » La façon dont les paysages et les corps se déplacent, se transforment, apparaissent et disparaissent se détache des lois qui régissent le réel pour suivre les chemins de l’imaginaire.
L’interaction entre le spectateur qui devient acteur et le spectacle visuel et auditif se joue d’une façon singulière, selon un schéma relationnel plutôt que causaliste (action-réaction). En effet, ce sont les déplacements physiques (marcher, courir, s’arrêter, etc.) ainsi que les gestuelles (mouvements de bras, du bassin, etc.) effectués sur les deux bandes brillantes installées au sol, qui participent à une modification de l’espace représenté. Le procédé interactif n’est pas contraignant ni même nécessaire pour explorer l’univers onirique et chorégraphique. Mais il se fait désirer… L’envie se fait pressante de bouger et de participer au déploiement du spectacle, de faire partie de la dynamique visuelle et auditive, d’apprécier les transformations virtuelles que nos mouvements du corps réel vont activer. Désir de rencontre, de communiquer avec ces personnages qui s’insèrent librement dans un espace qui n’obéit plus aux mêmes lois physiques que le nôtre. D’ajuster nos mouvements corporels à ceux des danseurs sur l’écran, de lancer notre corps dans ses multiples processus moteurs. On s’attache alors à essayer d’explorer et de découvrir de nouvelles sensations, d’exercer le regard mais aussi notre écoute différemment.
Selon l’endroit où l’on se place pour appréhender le spectacle, la distance entre l’espace physique, tangible, réel, dans lequel nous nous mouvons et l’espace virtuel de l’écran change de sens et d’échelle. Si l’on monte à l’étage, les distances se resserrent entre le spectateur-acteur et l’univers virtuel : il s’intègre lui aussi au spectacle, à l’histoire, ouvre une nouvelle dimension. Et inversement, il fait passer la fiction dans le réel. La distinction entre réel et imaginaire devient peut-être non pertinente. Lorsqu’on associe au premier terme le vrai, et au second l’illusoire et l’irréel. L’univers proposé par les Corsino devient aussi le nôtre. Non pas au sens où nous le possédons, mais plutôt parce que nous en faisons partie intégrante.
Comme pour les voyages initiatiques, il n’y a pas à proprement parler ici de début ou de fin, même si une histoire s’y joue. Le chemin parcouru et les transformations visuelles, auditives et mentales effectuées concourent à la sensation d’être soi, toujours, mais différemment.

Texte : Elodie Guida
Photo : N+N Corsino

Notes

[1] Cette installation met en scène le système sonore WFS (Wave Field Synthesis / Synthèse de front d’onde), technologie inédite de diffusion du son. Inventée par l’université de Delft en Hollande et développée par Sonic Emotion et les chercheurs de l’Ircam, la WFS permet de capter une scène sonore en préservant les informations spatiales de distance et de direction des sources qui la composent.