De la rue d’Aubagne à La Palud, Noailles, laboratoire de l’incurie municipale
Noailles, où trois immeubles se sont effondrés lundi 5 novembre, concentre un grand nombre de situations d’habitat indigne. De cas jamais traités en études à rallonge, sans oublier un grand plan aux petits résultats, zoom sur ce quartier symbole de l’incurie municipale.
À vol d’oiseau, ce n’est qu’à quelques battements d’aile de la rue d’Aubagne. L’aile sombre d’un oiseau de mauvais augure. Ce jeudi matin, devant les numéros 1 et 3 de la rue de la Palud, des blocs de béton empêchent l’accès. Le premier immeuble fait partie des cinq sites qui font l’objet d’une évacuation suite à une présomption de péril imminent, depuis le début de la semaine.
Devant les blocs, trois personnes patientent, l’air perdu. Ils ont passé la nuit à l’hôtel et espèrent récupérer quelques affaires. « Au moins des vêtements, un pull pour mon fils de neuf ans qui est parti à l’école avec juste ce qu’il avait sur dos », demande Ouarda Tighiouart. Avec un fils encore en poussette, Karima Bennettayeb est également sans emploi. Elle travaillait pour le coiffeur qui occupait le rez-de-chaussée.
Locataires de Marseille Habitat et voisins d’une ruine
Tous sont locataires de Marseille Habitat. En 2011 encore flottait à la fenêtre la même bâche bleue annonçant une rénovation qui pendait à celles du 63 rue d’Aubagne. En 2013, la société d’économie mixte dans laquelle la Ville de Marseille est majoritaire a lancé les travaux de rénovation du bâtiment et a réussi à créer cinq logements sociaux. Aujourd’hui, ceux-ci se lézardent déjà. « C’est du maquillage, ils ont collé des plaques de plâtre pour faire propre », estime Llyes Tighiouart, le mari de Ouarda, qui dit être du métier. Les deux époux refusent l’idée d’être réintégrés dans cet immeuble si le péril est levé.
Chez Karima, au dernier, on voit une fissure qui part de l’immeuble voisin et atteint sa fenêtre. « Il y a la même fissure au-dessus de la porte d’entrée, explique-t-elle. Et des fissures partout dans l’escalier », jusqu’au dernier. Si ce bâtiment est dans cet état, c’est que l’immeuble voisin menace ruine. À la porte comme à toutes les fenêtres du 3, rue de La Palud, des étais métalliques tiennent la façade en place. Lors de la conférence de presse de la mairie jeudi 8, Arlette Fructus, élue au logement et présidente de Marseille Habitat, n’a pas eu le temps de répondre à des questions précises sur ce cas, si ce n’est pour mettre en avant le principe de précaution.
Le risque d’effondrement pointé dès 2017
Là comme ailleurs, les bâtiments tiennent les uns contre les autres. C’est ce qu’avaient conclu les militants de Noailles Ombres et Lumières, un collectif d’habitants et d’experts réunis autour de Michel Guillon (1) à propos du 61 au 71 de la rue d’Aubagne. Ceux-là même qui se sont effondrés ou qui ont été détruits dans le drame qui mobilise tout le monde aujourd’hui. « Il suffisait d’analyser les fissures sur les façades pour comprendre que ces immeubles menaçaient de s’effondrer, explique Éric Baffie, architecte et membre du collectif. C’est ce que nous avions écrit dans un document de travail. »
Le document qui résulte du travail de ce collectif réalisé en juin 2017 rassemble les données connues sur 70 immeubles du quartier Noailles. Marsactu a pu le consulter. « Nous étions partis de l’enquête menée par l’association Un centre-ville pour tous en 2009 et nous l’avons élargie aux autres immeubles notamment visés par le plan d’éradication de l’habitat indigne sur tout le haut du quartier, explique Michel Guillon. Nous avons donc fait une visite non exhaustive du quartier en juin 2017. Notre but était d’arriver avec des données précises pour préparer une réunion avec le service d’habitat de la Ville et la Soleam en charge du nouveau projet de rénovation du quartier. »
Ils ont ensuite concentré les données sur 28 immeubles du quartier et envoyé un tableau recensant toutes les données recueillies à la direction de l’habitat. Laquelle a pris part au travail du collectif et complété le tableau en indiquant quelle était la situation de l’immeuble en 2017. De ces échanges ressort un bilan précis et détaillé.
« Sur les 63 à 71 rue d’Aubagne, nous n’avons pas mis en avant notre constat car il y avait des travaux en cours, explique Michel Guillon. On peut s’interroger aujourd’hui sur ce à quoi ils ont servi. » « Nous avons préféré insister sur le projet de crèche et de logements sociaux. Nous étions dans une volonté de dialogue et les services étaient à l’écoute, complète Éric Baffie. C’est pour cette raison que nous avons inclus dans cette liste des immeubles qui ont été traités avec, parfois, construction de logements sociaux. Cela avait aussi pour but de montrer que c’était possible. »
En attendant l’étude…
Ces immeubles qui ont connu une évolution positive sont 13 sur les 28 de l’échantillon examiné. Mais par un effet saisissant de contraste, ils éclairent ce qui n’a pas été fait ailleurs. « Dans notre tableau, nous sommes partis des prescriptions inscrites dans le périmètre de restauration immobilière qui était censé permettre la rénovation du quartier dès 2001, explique David Escobar, urbaniste, doctorant en sociologie et militant d’un Centre ville pour tous. Cela veut dire que, dès cette époque, les propriétaires étaient enjoints de réaliser des travaux sous peine d’expropriation Or, on voit bien que certains immeubles ont traversé les années sans connaître le moindre changement. »
Ainsi le 20 de la rue Rodolphe-Pollak est décrit comme un immeuble occupé qui présente des « graves problèmes de salubrité ». Réponse du service habitat de la Ville : « Immeuble repéré mais non diagnostiqué dans le cadre de l’opération d’amélioration de l’habitat dégradé. À pointer dans le cadre de l’étude pré-opérationnelle 2017-2018. »
Pour décoder un peu le jargon technique, cet immeuble est passé entre les mailles d’une opération, le PRI, permettant aux propriétaires de 152 immeubles de Noailles de défiscaliser le montant des travaux réalisés. S’ils ne faisaient pas les travaux prescrits, ils étaient menacés d’expropriation (2001-2009). Il n’en a rien été ou alors ces procédures ont échoué. L’immeuble est passé ensuite entre les mailles d’une opération d’incitation à la réalisation de travaux (OAHD), puis à travers une concession d’éradication de l’habitat indigne (EHI) où là aussi la possibilité d’expropriation existe. Ces habitants attendront donc une nouvelle étude métropolitaine. En passant, celle-ci a glissé d’un an et ses résultats sont attendus pour 2020…
Immeubles avec marchands de sommeil
Les bâtiments sont nombreux ainsi à présenter des présomptions de péril ou d’insalubrité et à devoir attendre les conclusions d’une nouvelle étude. L’hôtel Simplon rue du musée était repéré dès 2001 et théâtre d’un marchand de sommeil connu de tous. Il devait être exproprié en 2009 mais demeure toujours en activité en 2017. Réponse de la Ville : « La procédure d’expropriation a échoué par défaut de notification. » L’immeuble est renvoyé pour étude à la même période précitée. Même chose pour l’hôtel Univers, rue des Feuillants, avec marchand de sommeil, péril ou insalubrité.
Certains de ces immeubles sont propriété municipale sans que cela ne change grand-chose à l’inertie. Le 30, rue du musée ? « Entrée en jouissance en 2012. » Six ans après, l’immeuble vide attend toujours un appel à projets. Pour le 29 rue du musée, repéré en 2001 et toujours en péril, il attend depuis 2014. Le 25 depuis 2011…
Même l’immeuble du 43 rue d’Aubagne, qui abrite l’association Destination Familles où le collectif a rencontré la direction de l’habitat de la Ville dans le cadre de ce travail, présente des « fuites d’eau » et un marchand de sommeil dans les étages. Il est copropriété de la Ville et attendra l’issue de l’étude.
« Moyens bien maigres »
Ce n’est là qu’un échantillon non exhaustif des 48 % d’immeubles d’habitat indigne du quartier. En conclusion de cette rencontre de juillet 2017, les militants de Noailles Ombres et Lumières pointent « les outils, les méthodes et les moyens » qui leur semblent « bien maigres » pour « lutter contre les marchands de sommeil, l’insalubrité et permettre à tous de se loger dignement. » Et le collectif de déclarer dans son compte-rendu :
Nous n’avons pas senti de réelle capacité d’agir globalement sur cette problématique mais plutôt une série de réponse au cas par cas, dans la continuité des politiques menées ces dix dernières années.
Depuis la conférence de presse municipale du 8 novembre, les Marseillais savent que le drame qui s’est noué rue d’Aubagne peut se rejouer à Noailles, et ailleurs dans la ville. Sans que cela ne crée pour l’heure d’électrochoc salvateur à la mairie.
Benoît Gilles
Notes
- Michel Guillon est par ailleurs un des 44 lecteurs-investisseurs (minoritaires) de Marsactu. Plus d’informations ici.[↩]