Denis Brun – How Creep Is Your Love à Vidéochroniques
Top of the pop
Vous n’aimez pas l’amour ? Rendez-vous chez Videochroniques pour une exposition qui vous réconciliera avec votre époque, même si elle est loin d’être simple et funky. Avec How Creep Is Your Love, Denis Brun propose un moment hors de ce monde de dingue, en le tournant en dérision… Une exposition vivifiante, désaltérante, régénératrice, pour dire Never Mind the Bollocks à l’amour.
« Je suis né par accident en 1966 dans la même clinique que Jean-Yves Jouannais. Je travaille et je vis à Marseille mais pas uniquement. Je vis aussi chez mes amis d’Anvers, de Liège, de Nice, de Paris, ou alors dans certain endroits que je visite, car j’adore partir de chez moi plus ou moins longtemps, même si je me sens très bien là où je vis actuellement… » Denis Brun
Malgré son jeune âge, l’exposition de Denis Brun a tous les atours d’une petite rétrospective à la gloire d’un artiste vivant et travaillant à Marseille, qui aura traversé ces deux dernières décennies sans rien renier de ce qui l’animait à ses débuts. Denis Brun fait de l’art pour se faire du bien et c’est contagieux. Artiste polymorphe, à l’aise dans le volume et la bi-dimension, dans le son et dans l’image, dans l’image fixe et dans l’image animée, l’artiste construit depuis vingt-cinq ans un monde dénué de mièvrerie où la pop culture, la BD, le cinéma et surtout la musique occupent toute la place.
L’exposition montre des œuvres anciennes et récentes, dont certaines reproduites pour l’occasion : de quoi embrasser tout son univers et entrer dans la production plastique, vidéo et musicale de l’artiste, mais aussi celle de son alter ego au sens littéral du terme, Toshiro Bishoko. Dessins, collages, peintures, sculptures, vidéo, basse couture, sans compter des textes toujours délicieux… Denis Brun aura tout expérimenté dans la vie comme dans l’art, sans rien s’interdire, ce qui donne un vivier de formes pour lesquelles le glossaire plastique s’est enrichi au fur et à mesure des années et des expériences. Car ce n’est un secret pour personne, notre homme ne sépare pas la vie de son travail artistique, ce qui est sans doute à l’origine de cette boulimie créative que tout le monde lui reconnait… L’un se nourrit de l’autre, et l’équilibre se fait entre les deux. Quand l’un va mal, l’autre lui porte secours et vice versa…
Ses premiers autoportraits aux crayons de couleur révélaient timidement les moments de doute et d’incertitude, le reste de son œuvre parlera à celui qui saura déchiffrer les jeux de mots et les jeux de formes, lire entre les lignes les moments douloureux des affres de la création et de l’inconvénient d’être né… Car tout cela se dit en filigrane ; Denis Brun ne fait pas de lui-même le sujet de son travail, qui n’a rien d’autobiographique. On ne verra pas dans ses vidéos les amis d’un soir de fête comme chez Nan Goldin. Avec ses œuvres, il se place au milieu d’une époque, comme le témoin des années 80 et 90, celles du punk, de la new wave, de la techno et du grunge, celles de l’ecstasy et des drogues à la mode dans les années 90, celles de la génération X selon la classification de Strauss et Howe, « qui a eu l’idée imbécile de naître entre 1960 et 1970. Ceux qui sont nés après la bataille et qui vieilliront dans le siècle prochain » (Douglas Coupland), décrits par les sociologues comme avides de défis et du besoin d’apprendre…
« Compte à rebours déchets : tendance à regarder les objets en pifométrant le temps qu’ils mettrons éventuellement à se décomposer… » Douglas Coupland, Génération X
Les années 90 auront été des années poubelles à la fin desquelles on commence à réaliser que la Terre n’en est pas une… Les objets récupérés de Denis Brun un peu partout et un peu tout le temps ont fini par constituer un corpus de sculptures d’assemblage où tout s’imbrique à merveille et prend son sens : les poupées gonflables et animaux de L’Eldorado de la méduse, les bibelots kitch en porcelaine de La Montagne magique, le faux lierre en plastique et la déesse de plâtre Hébé Forever Young (Hébétude-Remix). Denis Brun ne se prive d’aucune allusion lubrique ou irrévérencieuse. Sauf lorsque l’on touche aux dieux de son panthéon, Manson, Robert Smith, ou Bowie : là, plus aucun détournement, plus de jeu de mots, mais une belle série de grands dessins en noir et blanc à la gloire de ses maîtres à penser et à vivre… Parmi les autres dessins, on retrouvera les pochettes de 33 tours sur sac en vinyle et de belles et grandes compositions dans lesquelles l’artiste agence différents motifs dont le télescopage visuel et sémantique fait sens, à l’instar de Olet Spiritus Lucius, qui associe la chouette aux smiley de l’acid music et à la formule chimique de la MDMA. Le glossaire de l’artiste comprend des références aux drogues et à la musique, à la culture de masse, aux dessins animés, à Mickey et aux autres monstres de l’enfance, à internet où il puise les images, des lapins punk, des branches d’arbre, des robes, des skateboards, des peluches et donc des animaux, et puis des trucs en plastiques, des trucs qui ne servent à rien mais dont on ne peut pas se défaire. Comme ceux qui recouvrent la série des Arrow ginal, sortes de flèches magiques aux bouts en céramique recouvertes de babioles et composant contre toute attente de très beaux objets, dans lesquels la recherche de l’harmonie guide le geste de l’artiste. On retrouve dans cette série la branche d’arbre chère à Denis Brun et la référence aux cultures primitives et païennes ou totémiques, comme dans l’œuvre qui leur fait face, Le charme discret de la bourgeoisie.
« L’artiste serait quelqu’un qui imagine qu’il y a un ailleurs au monde, qui pense voir le monde autrement et qui a le désir ou éprouve le besoin de mettre en forme son ressenti et ses pensées pour les communiquer à autrui. » Antoine Perpère, Formes sous Influences
Associations d’idées, associations d’images, associations d’objets… Denis Brun crée des rébus, colle et assemble des idées à la manière des fous de contrepèteries ou d’anagrammes. Ses « ready-made mentaux », comme les appelle Christiane Fermand dans son texte Living Through, procèdent à la transposition, à l’image de la si belle idée de l’oiseau sur la branche qui passe à celle de l’oiseau sur la robe sur la branche (série des trois robes suspendues à une branche), d’un jeu d’esprit en un jeu formel… Chez Denis Brun, tout peut se lire au premier degré, inoffensif, ou au second, moins drôle, comme les pierres aux couleurs fluo de Candy Raver’s Grave 2 — référence aux « candy ravers » ou « techno kids », ces gamins qui quittent tout pour vivre une courte de vie de défonce. Une sculpture réalisée lors d’une résidence au Japon en 2016, pendant laquelle l’artiste, qui pense avoir atteint l’âge de raison, décide d’enterrer ses année techno. Et s’il offre une stèle et un hommage à ces gamins, s’offre à lui le droit de continuer différemment…
En parcourant l’exposition, on se dit que Denis Brun a peut-être fini par calmer ses démons. Celui qui saura la lire sera forcément touché par la pièce intitulée All We Ever Wanted Was Everything, un autel à l’image d’un skateboard sur lequel ont brûlé les cierges adressés à un petit garçon blessé. Et qui aujourd’hui nous aide, un peu à sa manière, à supporter le monde que l’on retrouve en passant la porte de son exposition. Entre la beauté kitsch d’un Jeff Koons et l’attitude d’une Pipilotti Rist, le monde de Denis Brun, même s’il use de paillettes et de plumes, ne manque jamais d’être drôle et lucide à la fois…
« Si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage. » Max Ernst
Céline Ghisleri
Denis Brun – How Creep Is Your Love : jusqu’au 14/04 à Vidéochroniques (1 place de Lorette, 2e).
Rens. : 09 60 44 25 58 / 07 77 05 07 29 / www.videochroniques.org