Des nouvelles… De Bi:Pole

L’air de rien, le désert nous rend ermites, errants, amers héritiers d’une ère mortifère. Faisant fi de cette triste perte d’énergie virale, l’agence marseillaise de productions Bi:Pole fait office de rassembleur vital : l’Appel des Indépendants, relayé et encouragé par ses soins en début de crise, porte aujourd’hui la voix commune de centaines de structures hexagonales qui se battent de concert pour ressusciter la culture. Projets repensés, Bon Air réinventé, soutien aux labels et autres naissances d’ambitions salvatrices… Olivier Kerdudo et Laure Cohen détaillent en bi:plume les multiples pôles de cette structure plurielle.

 

 

À quoi aurait ressemblé l’année 2020 de votre structure sans la crise sanitaire ?

Olivier : On devait produire notre cinquième édition du festival Le Bon Air, celle qui concrétise un long travail de fond et permet d’amortir une partie des précédentes années à perte, maintenant que le public comme les partenaires nous font confiance. Nous avons dans un premier temps réussi l’exploit en reportant le festival sur mi-juillet, mais nous avons vite compris que c’était inutile, en gardant néanmoins nos espoirs et notre programmation pour 2021… Sous ma deuxième casquette de booker, je devais notamment présenter des artistes comme TTristana, Glitter°° ou Azu Tiwaline sur des scènes très importantes comme Dour, les Transmusicales, Villette Sonique, les Eurockéennes, Nuits Sonores… On avait aussi décroché la soirée de clôture du MaMA festival à Paris. Aucun de ces événements n’a eu lieu. C’est donc aussi beaucoup de frustration pour ces artistes qui devaient éclater !

 

 

Depuis le début de cette crise, avez-vous pu compter sur des soutiens physiques, psychologiques, financiers ?

Laure : En tant que producteur du Festival Le Bon Air, et en tant que maison d’artistes de musique électronique dont le cœur de métier est la production de tournées et donc la performance scénique, nous nous sommes très vite retrouvés impuissants face à l’avalanche d’annulations et de reports de nos dates et de nos événements. Financièrement, nous jonglons entre fonds de secours, fonds de sauvegarde, fonds festivals, fonds de soutien… On enclenche aussi l’activité partielle, bien que très peu car le volume de travail reste grand. En effet, si monter des tournées demande beaucoup de travail, les annulations et les reports n’en demandent pas moins ! On peut remercier les équipes du CNM, des syndicats, réseaux, fédérations, qui font un travail remarquable pour apporter des réponses juridiques et certaines solutions économiques, ainsi que quelques-uns de nos partenaires comme le Crédit Mutuel et RIFFX, qui nous soutiennent malgré nos annulations à répétition. Bien sûr, notre métier d’acteur culturel ne doit pas se limiter à monter des dossiers tous les six mois pour reculer notre potentiel dépôt de bilan…

 

 

Avez-vous eu la possibilité de vous réorganiser, voire de vous réinventer, afin de pouvoir maintenir certaines de vos activités ?

Olivier : Pour sortir de la routine du télétravail et de la litanie des annulations, on a vite décidé de se lancer dans des chantiers qui nous tiennent à cœur et qu’on a pris le temps de développer à la fois pour le Le Bon Air et pour notre catalogue d’artistes : le développement durable, l’inclusion de toutes les minorités tant pour les publics que les artistes ou la lutte contre les violences sexuelles et sexistes en milieu festif, ainsi que la création d’un pôle dédié aux éditions phonographiques et le lancement de Gros : Œuvre, structure de soutien aux labels de nos artistes comme BFDM ou Metaphore Industries.

 

 

Quelles sont vos attentes quant à la considération de l’État pour le milieu culturel face à cette crise sanitaire ?

Olivier : On a vu deux ministres de la Culture successifs impuissants et peu audibles. Avec certes quelques mesures significatives et essentielles comme l’année blanche pour les intermittents, des cadeaux fiscaux, et la mise en place de différents fonds de soutien, mais à l’inverse tellement de maladresses, comme l’attribution de subventions pharaoniques à l’Opéra de Paris ou à Versailles, bonjour le symbole !

Laure : Concrètement, ce que l’on attend de la part de l’État, c’est la reconnaissance de nos structures indépendantes sur l’échiquier culturel français. Et c’est le travail que l’on a initié depuis un an avec l’Appel des Indépendants. En constatant une convergence des difficultés et des grands défis qui allaient s’imposer à nous au début de la crise du Covid, Bi:Pole s’est très largement impliqué dans cette initiative qui regroupe aujourd’hui 1 600 structures culturelles et médias indépendants visant à dessiner un avenir commun en phase avec les priorités et urgences de notre temps. Nous sommes parvenus à nous rassembler à Lyon en octobre dernier pour travailler en ateliers organisés autour de six thématiques cruciales pour nos activités. Ces deux jours de travail ont abouti à la création du Manifeste des Structures Culturelles et des Médias Indépendants, un ouvrage de 250 pages créé collectivement et composé de tribunes, d’une multitude de propositions tangibles et de témoignages de professionnels du secteur. Un pavé qui, on l’espère, sera déterminant dans la composition des futures politiques culturelles.

 

 

Arrivez-vous à trouver un quelconque aspect positif, qu’il soit personnel, organisationnel ou communautaire, à toutes les difficultés engendrées par ces handicaps répétitifs ?

Olivier : On a gardé un lien assez renforcé avec nos artistes, on a écouté leurs besoins en termes d’accompagnement, que ce soit pour accéder au statut intermittent (qui montre sa pertinence dans des périodes dures comme celle-ci), en termes d’édition discographique (dans un contexte où ça bouge pas mal avec le développement du streaming, notamment) et de soutien à leurs labels qui se sont retrouvés fragilisés. On a aussi anticipé avec eux les nouveaux besoins des salles qui ont envie de programmer des formats plus intimistes. On a lancé pas mal de créations, de résidences avec nos artistes et nos équipes techniques pour des projets de spectacles différents, souvent plus personnels, immersifs, expérimentaux.

 

 

Quelles sont vos perspectives pour l’année 2021 ?

Olivier : Quelle que soit la période, quelles que soient les contraintes, dès que nous en aurons la possibilité, nous nous adapterons pour que publics et artistes se retrouvent enfin, debout, dansants… On sortira volontiers de notre zone de confort, comme on le fait chaque année. On peut imaginer des expériences assises, immersives, transversales, mais l’ADN originel, celui de centaines de personnes qui dansent les bras en l’air, ça reste quand même l’alpha et l’oméga !

 

 

Avez-vous mis en place des mesures spéciales pour garder le lien avec vos spectateurs tant que leur accueil physique est impossible ?

Laure : Suite à l’annulation de l’édition 2020 du Festival Le Bon Air, et face à un premier confinement déstabilisant pour les publics, mais surtout dévastateur pour le milieu de l’industrie musicale (nous pensons notamment aux artistes, intermittents du spectacle, techniciens, régisseurs, lighteux, roads…), nous avons décidé d’assurer notre devoir en tant que producteur d’événement. Il en allait de notre responsabilité de proposer du contenu qualitatif au public dans cette période, mais surtout de parvenir à assurer des cachets et des revenus à nos équipes et aux artistes. Ainsi, nous avons décidé de réagir en proposant mi-juin Un Autre Air, l’édition digitale du Festival Le Bon Air. Pendant tout un week-end, nous sommes parvenus à mettre à l’honneur la scène artistique locale à travers des livestreams captés en direct dans de beaux espaces scénographiés de la Friche la Belle de Mai. Le moyen de redécouvrir des artistes locaux comme French 79, de danser avec le collectif La Famille Maraboutage ou de retrouver l’antre du Cabaret Aléatoire. Ce fut un réel plaisir pour nous de retrouver les frissons de la production, les conditions du live, même si évidemment l’accueil du public, qui est habituellement l’objectif ultime, n’était pas à l’ordre du jour. Nous avons eu la chance de pouvoir compter sur le soutien de nos médias partenaires pour relayer l’opération, ce qui nous a permis d’accueillir digitalement quinze mille spectateurs sur notre plateforme dédiée ; chiffre très significatif pour nous, car celui-ci représente la jauge du festival en temps normal… La boucle était bouclée !

On espère tout de même pouvoir tous les retrouver pour la prochaine édition du Festival Le Bon Air en mai 2021 à la Friche la Belle de Mai !

 

 

Zone expression libre : liens musique, vidéo, coup de gueule…

Olivier : Le DJ set de TTristana, qui nous avait retournés sur Un Autre Air !

Laure : Le dernier album planant de Domenique Dumont, People on Sunday, sorti sur The Leaf Label, qui m’accompagne sur ces dernières semaines de printemps anticipé.

 

Propos recueillis par la rédaction

 

Pour en (sa) voir plus : http://www.bi-pole.org/