Cascade de la Cité des arts de la rue & Espace Mistral à L'Estaque © Stephan Muntaner

Des nouvelles… de Lieux Publics

Avec la crise sanitaire, les rues se sont vidées, empêchant toute proposition artistique dans l’espace urbain. En attendant de retrouver son terrain de jeu habituel, le centre de création en espace public mise sur l’optimisme, plaçant sa saison 2021 sous deux mantras : « tenir bon et inventer ». Benjamin Lengagne, directeur de la communication et des publics, fait le point avec nous sur cette année si particulière.

 

À quoi aurait ressemblé l’année 2020 de votre structure sans cet effondrement épidémique ? 

C’était une belle année, une saison particulièrement intéressante : d’abord parce qu’elle portait le label « Saison » pour une seconde année consécutive, qui nous permettait de quitter un format plus événementiel auparavant et donnait toute la place aux artistes, avec une construction de lien au public repensée.

Une année fortement teintée d’un regard pluridisciplinaire de programmation : de la danse, du numérique, du cirque, du théâtre…beaucoup de projets comme autant d’expériences, souvent participatives et inattendues, surprenantes toujours.

Nous allions à la rencontre de nouveaux lieux : Foresta, le jardin de la Cascade à la Cité des Arts de la Rue, l’Espace Mistral à l’Estaque, l’esplanade du J4 / Mucem avec nos partenaires de Chroniques, le centre ville d’Aix-en-Provence…

Un des grands regrets de 2020 restera également de ne pas avoir pu accueillir d’artistes européens auxquels nous faisions la part belle cette année, avec des artistes italiens, néerlandais, belges, grecs… Ce rapport à l’Europe est au cœur de notre projet.

Beaucoup de projets à la frontière entre création et action culturelle se sont vus stoppés, et c’est toujours décevant de mettre en pause de beaux partenariats avec nos relais associatifs, éducatifs, sociaux qui se construisent sur le territoire. Partie remise.

Mais ne soyons pas trop larmoyants : 2020 a vu quelques belles victoires !

Nous avons pu maintenir la diffusion de projets en septembre, dont Grand Ensemble de Pierre Sauvageot joué à Martigues et Cannes, notre vide-grenier artistique à l’Estaque avec la compagnie OpUS, les Kaleidophones de la compagnie Décor Sonore qui lançait une très belle rentrée culturelle tout début septembre place Bargemon…et nous avons également pu, avant le reconfinement, proposer à des artistes de jouer à la Cité des Arts de la Rue faute d’espace public accessible, dont Kubilai Khan Investigations et le G.Bistaki.

Déterminant pour nous également, notre plateforme européenne de collaboration In Situ, qui réunit seize partenaires et douze partenaires associés, s’est vu renouveler la confiance accordée par la Commission Européenne : quatre ans supplémentaires à faire bouger les lignes de l’art en espace public à échelle européenne. Le ministère nous a également confirmé l’attribution du label « pôle européen de production », reconnaissance de ce travail.

Chroniques d’une ville éphémère, projet d’écriture sur les lieux que nous investissons, a été confié à Valérie Manteau, illustré par Stephan Muntaner, et nous sommes très heureux du résultat. Allez-vous plonger dans leur lecture si ce n’est pas encore fait !

 

Suite au cataclysme provoqué par l’arrêt brutal du premier confinement, avez-vous pu compter sur des soutiens physiques, psychologiques, financiers ?

D’un point de vue financier, nos partenaires, Ministère de la Culture/DRAC, et les collectivités locales ont fait preuve d’un soutien sans faille, et malgré une baisse d’activité forcée, nos financements sont maintenus. Le dispositif de chômage partiel a également permis d’amortir le choc. Nous avons pu financer l’ensemble des compagnies et des techniciens dont les spectacles ou résidences ont été annulés. Les sommes qui n’ont pas été engagées (frais de transports, locations techniques…) sont reportées vers des coproductions et des soutiens aux compagnies.

Mais nous restons très inquiets pour l’écosystème dans lequel nous évoluons : celui des compagnies, collectifs artistiques et de l’intermittence justement, des réalités de calendriers de création, des projets qui doivent circuler pour se financer et n’ont pas été montrés…

L’année blanche est une solution temporaire, mais les effets se ressentiront bien au-delà du 31 août 2021. Surtout dans un contexte où la reprise d’activités est incertaine, et devra se faire sur de nouvelles modalités, qu’à défaut de maitriser nous tentons d’apprivoiser. Personne n’a le mode d’emploi de 2021.

La période a néanmoins facilité le dialogue et la réflexion, la mise en réseau, l’échange. Soutien intellectuel primordial.

Nous sortons de quatre jours intenses de travail (Art/Cité, du 2 au 5 novembre) qui ont réuni, sur Zoom, plusieurs centaines d’acteurs autour notamment des modèles de demain, des solutions à trouver, de la mutualisation, de la reprise du dialogue avec collectivités, élus, scène généralistes… Le réseau se solidifie, interconnecte et on peut parler d’une envie de solidarité très forte, pour faire face ensemble.

C’est une période où il faudra tenir bon, et inventer ! Ce seront nos mantras pour la saison à venir.

 

Avez-vous eu la possibilité de vous réorganiser/réinventer, afin de pouvoir profiter un minimum des quelques mois de répit partiel qui ont précédé cette nouvelle épreuve ? 

Sur l’aspect accès à l’espace public qui est au cœur de notre métier, le dialogue a été constructif avec ceux qui délivrent les autorisations : Préfecture, Ville de Marseille… Nous avons bénéficié d’une écoute et d’une confiance quand nous présentions des projets qui évidemment incluaient les contraintes du moment. Nous avons été dans l’échange quasi-quotidien pour avancer au mieux, autant que faire se peut en prenant en compte la situation sanitaire et en plaçant la sécurité du public et des artistes au cœur de la réflexion. Ce dialogue sera bénéfique pour notre travail à l’avenir.

Et oui, la période a été propice à se réinventer, dans une réactivité qui devait impérativement se faire en parallèle des annonces nationales.

La difficulté, partagée par le monde de la culture en général, a été celle de réinventer avec des règles sans cesse changeantes. Mais comme dit plus haut, nous avons réussi sur cette parenthèse à maintenir une partie de nos activités, en repenser une autre partie pour la rendre compatible.

Cela a un coût, financier bien sûr, humain dans l’épuisement des équipes face à des lignes de projet sans cesse mouvantes, et artistique enfin : les projets qui doivent se réécrire en dernière minute pour jouer peuvent, bien malheureusement, perdre de leur force, surtout lorsqu’ils sont pensés pour un contexte précis bien en amont ; un lieu, un public… C’est le cœur du travail des artistes en espace public.

La question dépasse largement la vision binaire du jouera/ne jouera pas pour ces projets.

Enfin sur cette fin d’année, nous ne pouvons plus accueillir de public, mais les artistes continuent à travailler dans nos murs ! C’est le rôle premier d’un centre de création, et nous pouvons maintenir cet accompagnement à l’heure actuelle.

 

Quelles sont vos attentes quant à la considération de l’État pour le milieu culturel face à cette crise sanitaire ? 

Sur ces questions, nous jouons collectifs. Plutôt que chaque acteur culturel y aille de sa demande, nous sommes engagés dans le SYNDEAC, qui dialogue avec le ministère de la Culture au niveau national autour des notions de solidarité au sein de la profession, de la nécessité d’un plan pour les compagnies, d’un véritable plan de relance pour le secteur, et contre le gel budgétaire qui donne un très mauvais signal aux collectivités.

 

Arrivez-vous à trouver un quelconque aspect positif, qu’il soit personnel, organisationnel ou communautaire, à toutes les difficultés engendrées par ces handicaps répétitifs ? 

La réinvention et la remise en question, l’innovation déployée par les nouvelles démarches tentées, l’échange, la solidarité, l’accompagnement et l’écoute accrus et nécessaires vers les équipes artistiques, le débat vertueux autour de la place primordiale que tient l’accès à la culture dans notre quotidien à tous et son caractère essentiel, le débat sur l’espace public au sens large, et tous les acteurs culturels qui posent la question de sortir de leurs murs sont des aspects qui nous rendrons plus forts demain, nous l’espérons !

L’autre aspect positif est l’apprentissage du travail à distance. Déjà au sein de notre réseau européen In Situ, la question de limiter les voyages était posée pour des raisons écologiques, et donc nous essayons de trouver des formes inventives de travail à distance. Exemple, pour remplacer une grande réunion où les seize partenaires allaient rencontrer les seize artistes associés du prochain programme, nous allons financer les artistes pour qu’ils créent chacun une « carte postale », un petit acte artistique à déguster en ligne, une manière plus artistique de se présenter que la sempiternelle présentation de projet souvent décevante.

Et un exemple qui a vu collaborer l’ensemble des structures habitantes de la Cité des Arts de la Rue, sur un plan plus personnel et de solidarité qu’artistique : sur le premier confinement, la Cité des Arts de la Rue s’est faite plateforme logistique pour la distribution de colis alimentaires et autres produits de première nécessité, livres… de manière hebdomadaire, pour plus de mille familles, avec le travail bénévole de volontaires des différentes structures.

Une jolie expérience de mise en commun de nos forces, hors de l’artistique, et une affirmation de notre rôle sur notre territoire.

 

Quel est votre sentiment à l’entrée de ce deuxième confinement strict ? Quelles sont vos perspectives, durant et au sortir de celui-ci ?

Encore une fois nous sommes inquiets, tout travail de préparation demande réflexion et anticipation, et celles-ci sont gelées par un manque de clarté sur les règles à venir.

Nous comprenons pourquoi il n’est pas possible dans l’immédiat de voir à six mois, bien sûr.

Tenir bon, inventer, sera notre leitmotiv pour les mois à venir.

Avec une envie très forte d’un retour à la normale, mais nous faisons aussi partie des optimistes qui pensent encore qu’un monde d’après est possible, évidemment souhaitable, à tout le moins via les réflexions engagées avec et pour le secteur.

Toute crise est une opportunité de redistribuer les cartes, de changer de paradigme.

 

Avez-vous mis en place des mesures spéciales pour garder le lien avec vos spectateurs pendant ce reconfinement ?

Bien sûr, les réseaux sociaux que nous imaginons avant tout comme des espaces de dialogue rempliront ce rôle.

Et l’actualité n’est pas tout à fait gelée chez nous ! Les artistes continuent à travailler et veulent garder ce lien avec les publics, partager leurs avancées, et promettre de futures rencontres dans l’espace public.

Un projet comme Chroniques d’une ville éphémère permet par exemple de continuer à réfléchir et penser ensemble l’espace public, avant de s’y redonner rendez-vous à nouveau, le plus vite possible.

 

Propos recueillis par la rédaction

 

Pour en (sa)voir plus : https://www.lieuxpublics.com/