Des nouvelles… de Marseille Jazz des Cinq Continents

Dans un quotidien désormais gouverné par l’incertitude, nous donnons la parole aux forces vives de la culture, touchées de plein fouet par la crise sanitaire.

L’incontournable Marseille Jazz des Cinq Continents a pris cette année une forme inédite, étendue en temps et en lieux, repensée pour survivre et inonder l’été 2020 d’échos jazzistiques. Les dates automnales ont, elles, subi la deuxième vague d’annulations. Bilan et perspectives d’une année hors du commun avec le président du festival, Hugues Kieffer.

 

 

À quoi aurait ressemblé l’année 2020 de votre structure sans la crise sanitaire ?

C’est très difficile de revenir en arrière pour une édition qui n’a pas eu lieu. C’est d’autant plus difficile qu’une telle situation, c’est inédit, pour moi en tant que directeur, pour l’équipe en tant qu’organisateur, et pour nous tous en tant qu’opérateurs artistiques et culturels. Ce que je peux dire, c’est qu’il s’agissait de notre édition anniversaire des vingt ans du festival et qu’à ce titre, la programmation, les partenariats et la mobilisation du public, bien au-delà des amateurs de jazz, étaient les fondements de cette organisation. De nouveaux lieux emblématiques de la ville, comme le Centre de la Vieille Charité, pour découvrir des créations comme le projet AfricaBrass Revisited en première mondiale ; des artistes venus des cinq coins de la planète pour faire vivre à Marseille le meilleur de la scène jazz actuelle ; des projets engagés pour la médiation et l’incitation à la pratique ; l’ouverture à la diversité et la continuité de nos engagements pour un festival solidaire et éco-responsable… Nous avions aussi pris le parti de renforcer et d’aménager l’expérience que vit le public quand il vient assister à une soirée du festival. Mais il ne s’agit là que d’une affirmation de ce que le festival porte depuis qu’il a été fondé, en 2000. 2020 aurait dû être une édition collée à son époque et structurée autour de son projet artistique initial : le jazz des cinq continents.

 

 

Suite à l’arrêt brutal de vos activités provoqué par le premier confinement, avez-vous pu compter sur des soutiens physiques, psychologiques, financiers ?

La chance d’une organisation comme la nôtre, c’est qu’elle n’est pas seule, c’est une force non négligeable dans ces moments de grands frais ! Nous avons construit des liens très solides avec nos partenaires, institutionnels, privés, mécènes, nos partenaires culturels, nos partenaires des médias et de la presse, nos partenaires techniques et nos fournisseurs, nous avons des liens très profonds avec nos équipes, les intermittents du spectacle, les bénévoles et surtout avec les artistes et leurs représentants. Qu’ils soient de notre région ou de l’autre côté des océans, une crise comme celle que nous traversons montre que nous sommes extrêmement interdépendants avec les artistes de jazz du monde entier, des plus modestes comme les élèves du Conservatoire ou les musiciens amateurs jusqu’aux stars internationales. Par ailleurs, nous sommes partie prenante de plusieurs réseaux, locaux, nationaux et européens, d’organisateurs qui sont confrontés aux mêmes problèmes que nous. Tout ceci pour dire que le soutien est venu de partout et nous avons aussi pu être soutien pour d’autres à notre tour. L’échange et le partage ont toujours été au cœur de mon engagement.

 

 

Avez-vous eu la possibilité de vous réorganiser, voire de vous réinventer, entre ces deux « arrêts » ?

Nous avons pris très tôt le parti de programmer dès que possible et de travailler pour que le lien des artistes avec le public puisse se remettre en route au plus vite. Bien sûr, la forme n’avait rien à voir avec une édition du festival, mais l’esprit était là. Les artistes étaient très heureux de pouvoir s’exprimer en public à nouveau et les auditeurs étaient vraiment heureux de ressentir à nouveau l’émotion des concerts en live. Malgré l’anxiété qui existait quand même avant chaque concert, parce que la situation sanitaire n’a jamais été complètement éclaircie, nous avons tenu bon, encore une fois pas tous seuls, avec nos partenaires, et nous avons pu programmer vingt-sept concerts, avec une expression très forte de la scène locale. Je n’aime pas du tout le concept de « se réinventer », par contre nous devons continuer d’affirmer nos engagements et ce, quelles que soient les conditions. Notre engagement premier est de se mettre au service des artistes et du public.

 

 

Quelles sont vos attentes quant à la considération de l’État pour le milieu culturel face à cette crise sanitaire ?

Dès le début, nous avons bien compris que nous étions une cible et nous avons été les premiers éteints. Depuis, malgré l’engagement très fort des collectivités locales, comme la Région Sud qui a multiplié les initiatives de soutien au milieu de la culture, la culture continue d’être trimballée au gré des annonces. Mois après mois, il apparaît que malgré la mobilisation sans précédent de toutes les filières de la culture, publiques ou privées, malgré les efforts immenses consentis par toutes et tous, malgré les soutiens, les pétitions, les prises de parole, jamais nous n’avons pu peser dans le débat pour faire reconnaitre simplement que la culture est une force qui pourrait participer à vaincre la pandémie en gardant une société soudée. Nous ne sommes pas des soignants qui agissons directement, mais en préservant le lien entre les gens, la mise en commun de nos émotions et le partage de nos énergies, les opérateurs de la culture participent au renforcement du système immunitaire d’une société. De plus, je reste persuadé que les artistes, par leur approche et leur questionnement, peuvent être les lumières pour avancer, ils l’ont toujours été… pourquoi les éteindre maintenant ?

 

 

Arrivez-vous à trouver un quelconque aspect positif, qu’il soit personnel, organisationnel ou communautaire, à toutes les difficultés engendrées par ces handicaps répétitifs ?

Il y a du bon en toute chose. C’est un peu enfoncer une porte ouverte que de dire ça, mais c’est tellement vrai ! L’échange et le partage, « l’en commun » comme je l’appelle, donneront certainement des choses étonnantes et certainement pas là où on les attend.

 

 

Quel est votre sentiment par rapport à ce deuxième confinement ? Quelles sont vos perspectives d’avenir ?

J’oscille entre l’interrogation, la colère, la frustration, l’espoir, la réflexion, la curiosité, l’abattement, la rêverie, l’anxiété, le calcul et tellement de combinaisons entre ces items ! C’est enthousiasmant d’une certaine manière, pour peu que l’on reste en mouvement. Le jour où l’on ne respirera plus, alors ce sera autre chose. Quant à la possibilité d’une sortie de crise, nous souhaitons qu’elle se fasse par le haut et que l’espace de rencontre que constitue un festival comme le nôtre, une rencontre physique, intellectuelle et spirituelle aussi, ait encore sa place dans le cœur et l’envie des Marseillaises et des Marseillais… et partout ailleurs !

 

Bonus – Le coup de cœur d’Hugues Kieffer

Pour Keith Jarrett, le pianiste de légende qui a fêté ses 75 ans en 2020. Son disque, dernier enregistrement d’une de ses traversées en solitaire, Budapest Concert sort chez ECM. Il est déjà considéré comme l’un de ses plus beaux, de ses plus inspirés, de ses plus accomplis alors que dans le même temps, le monde prend peu à peu conscience que le maître du piano solo pourrait peut-être ne plus jamais remonter sur scène.

 

Propos recueillis par la rédaction

 

Pour en (sa)voir plus : www.marseillejazz.com