En partenariat avec le Merlan, Marseille Objectif Danse programme cette semaine A posteriori de Georges Appaix. Le croisement du passé et du présent, la rencontre de deux époques… (lire la suite)
En partenariat avec le Merlan, Marseille Objectif Danse programme cette semaine A posteriori de Georges Appaix. Le croisement du passé et du présent, la rencontre de deux époques
Il y a des soirs où la danse française se porte bien et nous plonge dans le souvenir d’une écriture particulière, d’un parcours qu’on a suivi et qui nous colle dans les deux sens. La compagnie La Liseuse, c’est une aventure qui commence en 1985 avec la pièce Antiquité et qui, sans en rajouter, s’installe patiemment et durablement dans le paysage de la danse contemporaine. Une partition pose l’architecture et les mots trouvent leur place sur des intervalles, guidant le pas de danse dans une salle de bal, dans le préau d’une cour. Où se trouve la danse de Georges Appaix ? A l’extérieur ? Dans un hall ? Elle se trouve déjà dans la tête. Le corps sort de sa fonction de machine à bouger et envisage le théâtre sur une autre altitude, dans une autre époque, il n’y a pas si longtemps. « Je suis née le premier novembre soixante-quinze, je m’appelle Charlotte. A cinq ans, je fais du football, puis du poney, première chute. On décide de m’inscrire en “éveillement corporel”, mais corporellement, je suis plutôt bien éveillée. » L’interprète joue son rôle dans un faux documentaire, il nous retranscrit une réalité déroutée. Ma vie me va bien, mais celle-là aussi. Les corps s’associent dans des jeux d’accroches, puis repartent en solo sur une comptine personnelle, remontant les pages d’un livre ou d’un journal. A posteriori touche le fantasme du cinéma : le flash-back, le souvenir à fleur de peau dans un montage qui accélère le rythme. Les choses ne sont pas déclamées, elles s’envoient dans la vitesse d’une trajectoire, une courbe, une diagonale, des petits bouts de pas qui donnent au haut du corps des attitudes d’Arlequin. Tout se brouille et tout se dénoue à volonté. La voix joue sur le mode mi-chanté mi-phrasé, une demie retenue ou un demi envol. Cet écart avec une dramatique qui crie et nous effraie est, d’une certaine manière, une ironie du théâtre et un appel à la danse — ou peut-être une danse qui passe par le théâtre en lui tirant les joues pour le faire sourire. Les mains affichent de la timidité, croisées devant puis dans le dos ; les voilà qui tracent un étirement de bras dans la suspension d’un avion en papier. Quel âge avons-nous ? Sommes-nous prêts à tout recommencer ? « J’ai voulu faire de l’anthropologie, mais je n’avais pas le profil. Alors, je me suis mariée. C’était juste après mon stage “équilibre et bien-être”. » Le corps avance dans les angoisses de demain et refait son histoire dans celle d’hier ; il parle pour se dégager de toute responsabilité, il joue pour éviter de craquer. Le drôle frôle le drame, il frôle ce qui ne sera jamais dit, ce qu’on laisse au-dessus de nos têtes ; il traverse des zones d’ombre et se réjouit de la lumière. « Allons-y, Alonso », Jean Paul Belmondo adore les décapotables, il adore Anna Karina et ensemble, ils adorent courir dans les couloirs du Louvre. Il existe une danse qui donne des prénoms et des âges, qui définit des sexes et des attitudes, des humeurs et des envies. A posteriori est un remontage complexe et invisible d‘Antiquité qui a fondé le répertoire de la compagnie. Quel écart entre la tragédie grecque et aujourd’hui ? Juste une manière de sortir les choses et de les dialoguer autrement. Le corps ne réinvente pas l’amour, il en parle avec plus de spontanéité, s’autorisant des questions de maintenant. « Es-tu lucide à propos de ce que je peux être ou faire ? » L’aller-retour du désir dessine l’espace et invente les sonorités. A posteriori est un chanté-bougé lunaire, sans aucune revendication, juste une envie de le dire.
Texte et photo : Karim Grandi-Baupain
Du 15 au 18/03 à la Cartonnerie, Friche la Belle de Mai. Rens. 04 95 04 96 42