Guess who’s coming
Avec un nouvel album annoncé, il débarque enfin tout seul à Marseille, non sans rappeler un très beau souvenir des 90’s : Endtroducing. Devinez de qui il s’agit.
En 1996, La Macarena siège en tête des ventes de singles en France, Tupac Shakur tombe sous les balles à Las Vegas, et Joshua Paul Davis, a.k.a DJ Shadow, sort Endtroducing, œuvre centrale du mouvement abstract hip-hop, entièrement composée à base de samples sur une MPC. Blanc-bec féru de hip-hop, le seul dans sa ville natale d’Hayward en Californie (ses potes écoutaient tous du rock), Shadow tombe à pic : il montre au grand public que le hip-hop a plus d’un tour dans son sac, qu’il recèle d’un savoir-faire pouvant transgresser le simple genre musical et rappelle que les DJ peuvent être des artistes à part entière lorsqu’ils ne se contentent pas d’enchaîner des disques. Certes, le sampling n’était pas nouveau à l’époque, mais jamais le concept n’avait été poussé aussi loin, au point de construire un album d’une telle profondeur. Profondément hip-hop, profondément rock, profondément introspectif, rêveur et instrumental… Shadow rend ainsi indissociables l’une de l’autre ses qualités de producteurs et DJ : il est avant tout « the king of digging », le grand maître en matière de recherche de vinyle, une encyclopédie vivante, plus à l’aise dans l’insondable cave de son magasin de disque préféré (en pochette de Endtroducing) que devant les journalistes. Un sanctuaire hors du temps, son « nirvana », dans lequel il se réfugie des journées durant, recroquevillé entre les milliers de disques empilés et poussiéreux. Et s’il ne fallait retenir qu’une image de l’artiste, ce serait celle-là, celle d’un homme isolé dans sa bulle, et dont le principal rapport au monde passe par la musique. Là se situe sans doute le nerf de sa musique : puiser dans le passé pour tenter de décrypter l’avenir, sans perdre conscience du fait que nous sommes tous soumis aux lois du temps qui passe, sans échappatoires. Et l’exercice rend humble. La suite, on la connaît : d’abord, le très bon Preemptive Strike, puis des collaborations radieuses avec, principalement, Cut Chemist et James Lavelle. Vient ensuite un parcours en dents-de-scie pour un artiste tantôt piégé dans le format de musique pour gros festivals, tantôt libéré des carcans imposés par une partie de son public, qui aura finalement lâché le hip-hop au début des années 2000. Il divise lorsqu’il s’attache à promouvoir la hyphy, ce hip-hop typique de la baie de San Francisco. C’était prévisible, mais peu importe, le jeu en vaut la chandelle. Le fait de créer des ponts entre les milieux est depuis toujours une pièce maîtresse de sa démarche, et c’est tout à son honneur d’inviter l’excellent maître du crunk David Banner sur The Outsider… DJ Shadow fait partie de ces artisans devenus mastodontes dès la fin des 90’s, ayant su repousser de façon ingénieuse les limites de la composition musicale, à l’échelle planétaire. Il influencera toute une décennie à venir, de l’avant-garde au mainstream… Mais il s’agit là d’une toute autre histoire.
Jordan Saïsset
Le 27/05 à l’Espace Julien (39 Cours Julien, 6e). Rens. 04 91 24 34 10 / www.espace-julien.com