Dom Juan par la Cie La Naïve
Dom Juan voyage bien
Excellente surprise que ce Dom Juan, qui non seulement évite tous les écueils sur lesquels la transposition temporelle le faisait risquer de s’échouer, mais trouve en elle un sens nouveau et plus juste.
Dom Juan transposé à la fin des sixties, c’est un périlleux voyage. Il est fait ici d’heureuse façon, car si Molière voyage avec lui — c’est bien sa langue que l’on entend — , il nous débarrasse du contexte d’écriture et diminue le côté « porte-voix » du personnage, le rendant à sa personnalité. Ce Dom Juan paraît en effet plus occupé à trouver un sens à la vie, aux prises avec une dépression chronique et des consommations compulsives d’alcool, de jouissance, et accessoirement de provocations — en ce sens qu’elles sont moyens, conséquences ou réponses mais pas raisons, ni même fins. Qu’en cela il soit révélateur des hypocrisies, de la rigidité d’une certaine forme de pensée, et que cette utilité fut première pour Molière… soit, mais ce n’est pas le ressort psychologique principal du personnage, dont Charles-Eric Petit souligne les up and down en passant de la frénésie exubérante à l’abattement confident sur le devant de la scène, de certitudes cyniques et assénées à une dérive alcoolisée et morbide. Il est heureux ensuite que la musique — celle des Doors, puisque l’idée de base est que Jim Morrison pourrait être un Sir Johan des années 60 — ne soit pas envahissante, avec un volume sonore fait pour participer d’un malaise que l’on voudrait installé par le provocateur qui est, par destination, dérangeant. Mais justement, dans cette version, Dom Juan n’est pas qu’un provocateur, il est en quête de sens et c’est sur le sens que s’appuie le choix des morceaux pour faire des textes que chante Morrison — et qu’il a parfois écrits — un écho à la situation ou au texte de Molière. Enfin, et là encore c’est heureux, si Morrison plane en filigrane çà et là via l’illustration musicale et par l’utilisation de pièces vestimentaires, il n’apparaît que dans la scène finale. Comme si, soudainement, le fantôme de l’un s’unissait au corps de l’autre au moment du trépas : c’est bien la fin tragique de Jim Morrison qui est mise en scène, sa descente aux enfers étant une overdose. D’ailleurs, Charles-Eric Petit joue Dom Juan et suggère Morrison, et forme avec Hervé Pézières/ Sganarelle un duo tout à fait efficace dans le registre des tirades comme dans celui de la farce. Ce Sganarelle qui semble avoir non seulement la « vis comica », mais aussi un fort potentiel sensible. Concernant ce tandem, qui porte littéralement la pièce, la seule réserve touche au début, avec une tirade du tabac (Sganarelle) manquant de rythme et Dom Juan cherchant peut-être par là à marquer la jeunesse qui lui est donnée dans cette version, est si bondissant qu’on craint de le voir s’envoler. Mais cela peut être un effet secondaire, déclenché par la vue d’un canapé, Charles-Eric Petit jouant par ailleurs Peter Pan en ce moment. Les ingénues sont délicieuses, et le reste de la troupe sert honnêtement la performance complice du couple légendaire. La compagnie La Naïve a su développer assez de nuances dans son idée de départ pour en assurer la réussite. A part si votre sang se coagule, à l’idée, monsieur, qu’on y change une virgule…
Frédéric Marty
Dom Juan par la Cie La Naïve était présenté du 7 au 11/12 au Gyptis,
Prochaine représentation : le 29/01 au Théâtre de Pertuis