Dominique Petitgand – Un soulagement à la Compagnie
Visages sonores
Nos oreilles ont la parole à La Compagnie où Dominique Petitgand présente une installation sonore pour six haut-parleurs. Ecoutez, ça n’a rien à voir…
Les sons, dit-on, font partie des nouveaux espaces plastiques : depuis dix ans environ, ils seraient entrés dans les galeries d’art via la vidéo qui mêle inexorablement le son à l’image. Mais, déjà au début du siècle, Calder intégrait le son à ses sculptures. Puis, de façon plus spectaculaire, les machines qui ne servent à rien de Tinguely se mouvaient dans un épouvantable fracas de ferraille. En fait, le son préoccupe depuis toujours le plasticien s’interrogeant sur la musicalité de la peinture. La synergie entre ce que l’on entend et ce qu’on le voit nourrissait l’utopie d’un art total au moment des avant-gardes. Les Sonorités jaunes de Kandinsky posaient les mêmes questions que l’idée de synthèse des arts de Tatline ou de Lazlo Moholy Nagy : « Nous obtiendrons un jour un art optophonétique qui nous permettra de voir la musique et simultanément d’entendre les images. »
Il est rare cependant que l’artiste renonce totalement à l’image. Et Dominique Petitgand a certainement raison lorsqu’il se dit « orphelin d’une tradition qui n’existe pas ». Sans aucun recours au visuel, il nous demande d’abandonner le sens que nous sollicitons le plus. De fait, l’absence totale d’images ne fait qu’en souligner le manque. Une fois trouvée la façon de se comporter dans cet environnement sonore, on peut cesser d’entendre pour commencer à écouter. L’œuvre de Petitgand se découvre en deux temps, un peu comme sa méthode de travail : la création, puis la mise en espace. Un soulagement, qui s’écoute au casque, ne figure que la première partie du processus. Avec Quelqu’un par terre, pièce dans laquelle on discerne le bruit du vent sans pouvoir en localiser la source et qui se découvre en entrant dans la salle et se poursuit dans la mezzanine, la dénomination de mise en espace prend tout son sens. Le synchronisme entre les trois bandes sonores — l’une gênant la perception de l’autre — rajoute au discours sibyllin des voix — des bribes de phrases, hachées par de longs silences, tragiques, dans lesquels nous pouvons glisser une pensée personnelle et nous mêler à la logorrhée ininterrompue. Pour finalement ne plus rien entendre à ce que l’on écoute. De ces petits riens racontés, de ces voix anonymes, on pense ou l’on fait ce que l’on veut. Mais que vaut cette parole, gage d’humanité, presque trop proche, trop intime et par conséquent impudique, si finalement on ignore à quoi elle fait référence ? Devient-elle un bruit, une musique, peut-être de la poésie ? « Cœur transi reste sourd aux cris du marchand de glace. »
Céline Ghisleri
Dominique Petitgand – Un soulagement : jusqu’au 28/03 à la Compagnie (19 rue Francis de Pressencé, 1er). Rens. 04 91 90 04 26