Écritures en errance par l’asso Sic.12 à la Galerie de la Manufacture
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Jusqu’au 11 mars, la Galerie de la Manufacture à Aix-en-Provence présente Écritures en errance, une exposition originale qui a pour objectif de mettre en lumière les rapports entre écriture et images. Mêlant des œuvres d’artistes contemporains à des auteurs d’art brut, cette manifestation est une réflexion ouverte sur l’art de l’écriture
Écritures en errance est le nouveau volet d’un projet de recherche commencé en 2010 par le comédien et metteur en scène Gustavo Giacosa, commissaire de cette exposition. Il s’articule autour des aspects plastiques de l’écriture dans le monde de l’art. Formé en Italie auprès de Pippo Delbono et sa compagnie, Gustavo Giacosa poursuit depuis longtemps une recherche théâtrale chorégraphique et plastique, à l’origine d’une collection d’art intitulée Puentes. À partir de 2012, il s’établit en France où il crée à Aix-en-Provence, avec le pianiste et compositeur Fausto Ferraiuolo, une plate-forme multidisciplinaire, Sic.12, qui regroupe la diversité de ses productions. L’artiste avait d’ailleurs été programmé il y a une dizaine d’années sur la scène nationale du Zef pour deux propositions hybrides mêlant chorégraphie, théâtre et arts visuels. Il développe également une recherche sur le rapport entre l’art et la folie au sein de différentes formes artistiques.
Écritures en errance s’inscrit dans cette optique. Le concept de l’exposition est de faire dialoguer des œuvres d’artistes contemporains avec des productions de ceux que Gustavo Giacosa appelle des « auteurs d’art brut ». En effet, ces derniers s’inscrivent en dehors du champ de la peinture traditionnelle. Il s’agit d’une pulsion d’expression, au-delà des références précises à l’histoire de l’art qu’utilisent les artistes contemporains.
En s’articulant autour de deux chapitres : « Un fleuve en crue » et « Le livre des questions », Écritures en errance immerge le spectateur au cœur de l’intimité de celles et ceux qui n’ont plus que l’art comme moyen d’expression, des auteurs tels que Benoît Monjoie ou Dominique Théate, figurant sous une forme de bande dessinée à la fois leur quotidien, mais aussi une vie au-delà du cadre de l’institution. Le parcours présente également une installation d’œuvres d’artistes contemporains (tels que Carlo Zinelli, Dan Miller, León Ferrari ou Christine Jean) mise en dialogue avec des calligrammes, rébus ou caricatures des années 1500 à 1800. Les chapitres se déroulent au fil de la scénographie déployée dans la Galerie de la Manufacture : Murs et rues, Lettres, Prières, Récits de l’intime, Codes alphabétiques et Listes. L’exposition abrite également en son centre Le Livre des questions, installation audiovisuelle réalisée à La Maison de Gardanne avec la participation des patients, familles et équipe de ce centre de soins palliatifs. Le spectateur est invité à vivre une expérience à la fois contemplative et humainement saisissante via un dispositif qui retranscrit l’urgence de la parole.
Plus loin, le spectateur reste en arrêt devant la persévérance d’Oreste Fernando Nannetti, qui a gravé avec la boucle de son gilet les soixante-dix mètres carrés de la cour de son institution psychiatrique. Les mots tracés dans la pierre révèlent un monde stupéfiant, entre rêve et réalité, traduits et utilisés par Gustavo Giacosa pour écrire son spectacle éponyme témoignant de la fulgurance créatrice de cet artiste hors norme (présenté le 2 février dernier à l’Amphithéâtre de la Manufacture).
On découvre également chez ces auteurs d’art brut un côté mystique qui nous sort de notre zone de confort et nous amène vers d’autres mondes. Inspiratrice du spectacle que Gustavo Giacosa est en train de créer actuellement, Melina Riccio sillonne le nord de l’Italie pour y délivrer des messages christiques sur les murs, messages qu’elle signe, contrairement à la majorité des auteur·ices d’art brut. Après avoir participé à de nombreuses collections de haute couture, cette artiste, ancienne couturière dans les années 80, a voulu monter sa propre maison. L’échec financier de cette entreprise a endommagé sa santé mentale. Se voyant désormais comme un messie anticapitaliste et foncièrement écologiste, elle produit ses œuvres essentiellement à partir de matériaux de récupération.
Ce sont donc bien des paroles en liberté que ces Écritures en errance présentent au visiteur, qui peut ainsi apprécier l’altérité du monde de l’écriture, affranchi de ses règles dites « classiques ». C’est aussi un voyage fort à travers les époques, les formes d’écriture et de dessin. Une expérience immanquable dans le cœur d’Aix-en-Provence.
Isabelle Rainaldi
Écritures en errance par l’asso Sic.12 : à la Galerie de la Manufacture (Cité du Livre, 8/10 rue des Allumettes, Aix-en-Provence).
Rens. : www.lamanufacture-aix.fr/
Pour en (sa)voir plus : https://fr.sic12.org/