La planète sauvage
A cinq cents mètres de la Gare Saint-Charles, rencontre avec Baptiste Lanaspeze, fondateur de la maison d’édition marseillaise Wildproject.
Il y a huit ans déjà, afin de sensibiliser la France aux idées révolutionnaires de la philosophie de l’écologie et ainsi devenir une référence en la matière, Baptiste Lanaspeze crée « son univers », qu’il décide de partager via trois collections : Domaine sauvage, Tête nue et A partir de Marseille. Marseille donc, ce dernier bout de terre avant le continent africain, un centre du monde non pas méditerranéen mais — il insiste — « euro-arabe », où cultures populaire et savante se marient. Un brin provocateur, le jeune homme évoque une mixité propre à l’Andalousie — à une époque où elle était le symbole d’une Europe musulmane éclairée et philosophe — mais aussi à New York, particulièrement à Brooklyn, où l’on retrouve « cette même passion pour la pizza et le jazz. » D’où l’envie de s’ouvrir à d’autres publics, et c’est dans cette optique que l’éditeur lance une quatrième collection destinée au lectorat anglophone, sobrement intitulée Wildproject.
Ancien étudiant en philosophie, Baptiste doit une bonne partie de ses influences à son échange universitaire aux Etats-Unis. Il y découvre notamment les gender studies et la philosophie écologiste. Alors que les premières poussent des intellectuels comme Claude Lévi-Strauss à redéfinir l’identité homme/femme à travers plusieurs disciplines (sociales, culturelles, politiques, anthropologiques…), la philosophie écologiste renouvelle le rapport de l’homme avec la nature, via des naturalistes modernes comme Henry David Thoreau. Son court séjour sur le continent américain lui donnera des idées tout au long de sa carrière — ce qui explique peut-être que plus de 20 % de son public francophone est canadien. Dans une même exigence académique qui jalonne le catalogue de la maison, Baptiste s’entoure d’écrivains, mais aussi de scientifiques, philosophes et artistes, à l’instar de John Baird Callicott, éminent philosophe américain spécialiste de l’éthique environnementale, ou encore Nathalie Blanc, géographe au CNRS. Sans compter sa propre contribution rédactionnelle… Il renforce son implication pour la cause écologique en montant une ONG, Sentiers Métropolitains, qui mène un programme d’écologie urbaine et mondiale, et organise, entre autres, le sentier de randonnée périurbaine GR® 2013 à Marseille… Ce dernier contribuera notamment au rayonnement international de la ville en mêlant culture, art et environnement afin de la faire découvrir autrement aux habitants et aux touristes, et de redéfinir certaines pratiques socio-environnementales. Dans un paysage marseillais en plein chamboulement, entre patrimoine et chaos urbain, il convient de sensibiliser tout un chacun à la question verte. Malgré tout, l’actualité témoigne encore de la négligence des élus — on pense notamment à l’autorisation des rejets des produits toxiques, les boues rouges, dans le Parc national des Calanques. En tant qu’acteur engagé, Baptiste Lanaspeze s’aventure donc dans l’espace urbain comme dans un laboratoire à ciel ouvert, pour notamment interroger ses paradoxes. Cette polyvalence l’amène à dire qu’il est un « éditeur-auteur ». Autrement dit : un passionné et un créateur, « à l’image de la scène éditoriale marseillaise. » Comme ses confrères, il construit un monde. Son monde, obstiné, au-delà même de la ville et des frontières nationales. Son récent partenariat avec le Musée du Quai Branly et l’anthropologue de la nature Hugh Raffles l’amène à publier Insectopédie, une encyclopédie qui arpente le monde, de la Provence à Shangai, et donne un second souffle au nature writing.
Un silence apaisant s’installe dans le patio du local qui héberge désormais Wildproject. Conçu par le cabinet d’architecture Le Cabanon Vertical (collectif de réaménagement urbain artistique), l’espace accueille plusieurs structures : graphisme, communication, etc. Ce qui permet à Baptiste de ne surtout pas travailler seul. Ne voulant pas se limiter à la simple activité de bureau, le local aménage un lieu culturel qui organisera des expositions et un espace librairie. On peut d’ailleurs voir des livres déjà trôner à l’entrée du local. « J’aime voir mes livres en vitrine. » Nous aussi !
Emily Bonzom
Éditions Wildproject : 55 rue Flégier, 1er.
Rens. : www.wildproject.org