Papier glaçant
Etre en cavale est une situation que nous ne connaîtrons jamais. Se sentir persécuté est une impression que nous ne connaîtrons jamais. Baisser la tête et le regard, frôler les murs, se tenir constamment aux aguets, avoir la peur au ventre, risquer sa vie. Prévenir ses enfants qu’il est trop dangereux d’aller jouer avec les copains après l’école. Ne sortir de chez soi que pour aller travailler. Etre à la merci de n’importe quelle autorité, et notamment du patron. Depuis que la dernière guerre sur notre sol est finie, aucun citoyen français n’a plus à affronter la menace permanente d’une arrestation puis d’un emprisonnement arbitraire. Mais en France, nombreux sont ceux qui s’en inquiètent à chaque instant. Ils ont commis le seul crime de ne pas avoir de papiers valables pour séjourner dans l’hexagone. Ils sont étrangers, ils ont choisi d’émigrer vers cette terre d’asile pour fuir un pays hostile ou pour vivre ce mince bonheur que la France prospère offre à ses habitants. La France qui promet repos et protection à tous les exilés de l’humanité. La France, représentée par cette équipe de foot de 1998 qui a célébré le métissage de sa population et revendiqué son immigration. Mais la France a changé. Dix ans plus tard, la France de Nicolas Sarkozy a lancé une chasse à l’homme immigré. Sur le thème honni il y a peu de « 3 millions de chômeurs, c’est 3 millions d’immigrés », cette France a décidé de trahir ses traditions séculaires d’hospitalité. En fixant des « quotas », un chiffre lancé en l’air de personnes à expulser hors des frontières, puis un autre de personnes admises après recrutement au titre des ressources humaines étrangères, l’entreprise France s’est modernisée.
Le 10 octobre 2007, cinq mois après une élection présidentielle qui vit ressurgir les propensions xénophobes de la population française fut inaugurée clandestinement la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Nul président ou Premier ministre à l’horizon pour célébrer l’honorable existence de ce lieu. L’entrée au gouvernement du ministère de l’immigration et de l’identité nationale avait provoqué l’ire et la démission collective des historiens à l’origine du projet. Ils symbolisaient alors le non sens historique et humain d’un pays en train de se barricader. S’il devait exister un ministère de l’identité nationale, il serait chargé d’accueillir les arrivants à bras ouverts. Samedi dernier, un collectif d’associations et de citoyens a manifesté son horreur de voir s’instituer une « xénophobie d’Etat ». Un Etat en passe d’adopter en mai, avec ses complices européens, une directive qui permettrait aux autorités d’enfermer les sans-papiers pendant dix-huit mois au lieu des déjà trop longs 32 jours. Ces véritables résistants se mobilisent partout pour sauvegarder le peu de dignité qu’il nous reste en criant « Nous sommes tous des enfants d’immigrés ». Ils sont aujourd’hui poursuivis et condamnés par notre justice pour des délits de solidarité. Dans son article 2, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, partie intégrante de la Constitution française, érige au rang des droits fondamentaux la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression. Cité en dernier, ce n’est pas le moindre.
Victor Léo