Ballon d’oxygène
Le festival des cannes a gagné le pays ce week-end. Quelques paires de jambes aux chaussettes relevées et tibias protégés ont offert un spectacle inouï à des amateurs stupéfaits par le suspense et l’incertitude du sport. Fidèles des tragédies grecques, mettez-vous au football. Ce sport, si souvent décrit comme le Tranxene® du peuple endormi à trop en avaler, donne encore à réfléchir sur l’essence du spectacle. Doit-il amener à penser sa condition, transmettre des émotions, les deux mon capitaine ? La société du spectacle ne fait-elle qu’hypnotiser son audience pour lui cacher les véritables ressorts de la société capitaliste ? Dont acte. Mais enfin. Quand un événement nourrit tellement de joies et de peines, de satisfactions et de désespoir, faut-il cracher dans la soupe ? Ça ne remplit pas l’estomac du prolo qui a payé son coup ou sa place, c’est certain. Mais la ferveur des gens réunis dans une enceinte sportive ou sur une terrasse festive fait du bien, et c’est là l’intérêt. Le foot ne change pas la vie, il la repeint en bleu et blanc. Un prisme inutile donc rigoureusement indispensable (1). Quand les joueurs d’Eric Gerets perdent au Vélodrome et voient s’envoler une chance de participer à la prochaine Ligue des champions, il n’y a pas mort d’homme. Seul son espoir s’éteint. Mais quand Djibril Cissé envoie un ballon rond au fond du filet d’une cage gardée, il libère la frustration et la joie enfouies que peu de moments révèlent. On ne peut pas bouder tout le temps notre plaisir. Et si Madame ou Monsieur de l’académie du bon goût s’en offusquent, qu’ils tapent sur autre chose que sur un ballon. Il n’y a pas que les supporters du Kop de Boulogne qui méritent des gifles. Les cibles sont nombreuses. En vrac, le ministre de l’Education nationale, Jean-Luc Reichmann, Xavier Bertrand, le type des Assedic, Arthur, la voiture de devant qui rame à la vue du vert, Eric Zemmour (vous rajouterez la vôtre et vous l’enverrez au journal, on fera une compil). Après une trente-huitième journée comme celle-là, on en convient, le quotidien retrouve ses marques et la société prend sa revanche sur les siens. Mais on aura vécu tous ensemble, Nancéens ou Marseillais, Lyonnais ou Lensois, une expérience humaine, une communion unique. Bref, y a pas que le foot dans la vie, mais y a de la vie dans le foot.
Texte : Victor Léo
Photo : Sophie Lavillegrand
- Jérome Bonaldi dans le texte[↩]