2010, Annus Horribilis
Chômage, guerre politicienne, grève des poubelles, kalachnikov, affaires Guérini et Muselier, grève sur le port, vague de règlements de compte, départ de Ryanair… L’année 2010 aura été l’une des pires pour l’image de Marseille, tour à tour comparée à Naples pour la gestion de ses déchets, La Courneuve pour ses règlements de comptes, Marseille pour… ses affaires.
Le problème, c’est que l’image de la ville est devenue un enjeu déterminant pour la réussite de la Capitale européenne de la culture, comme l’a reconnu son nouveau directeur artistique, Ulrich Fuchs. « Les grandes lignes du programme seront connues en mars 2011, ce qui nous permettra de faire les salons touristiques pour convaincre les tour-opérateurs de concevoir des produits. » Les artistes et la culture sont là pour faire briller un territoire et servir d’appât pour les touristes, voilà la vraie définition du label capitale européenne de la culture… Le tout avec 85 % d’argent public !
Cet été, on pensait tenir le bon bout. Marseille Provence 2013 bombait le torse en affirmant que plus de 2 300 dossiers avaient été déposés sur son site, preuve de l’intérêt des artistes pour le projet. On allait voir ce qu’on allait voir, nous promettait-on. Tout le monde aurait sa chance. L’espoir fait vivre, dit-on. L’équipe de Bernard Latarjet a bien l’intention de faire de cette maxime son adage. Après avoir annoncé la sélection pour décembre 2010, celle-ci a été reportée en février, puis en mars 2011. Et encore, elle ne présentera que les grandes lignes. La sélection des projets durera encore tout 2011 et un bout de 2012, histoire de faire espérer le plus longtemps possible le plus grand nombre de personnes. Il ne s’agirait pas que le soufflet de l’espoir retombe et que la polyphonie sarcastique, voire rebelle, reprenne des forces… Le message de l’équipe de Bernard Latarjet est simple : 2013, c’est en 2013. D’ici là, il ne se passera rien, ou très peu.
Alors qu’a fait MP 2013 en 2010 ? La structure a embauché, passant d’une quinzaine de personnes à 57 (!) et intégrant un bureau de graphistes plutôt que de lancer un concours pour un nouveau logo. Elle a déménagé de la Friche à la Maison diamantée. Elle a changé d’organisation plusieurs fois. Bref, elle s’est beaucoup occupée d’elle-même. Mais aussi des politiques. Car l’année n’a pas été simple de ce côté-là. Avec un Gaudin montrant plus d’intérêt pour la rénovation du Vélodrome que pour celle de l’Opéra, un Muselier et un Pezet revenus sur le devant de la scène, un Mennucci montant en charge, une Joissains qui fait du chantage pour avoir le siège de l’Université à Aix, un Falco qui, de retour à Toulon, claque la porte comme un malpropre, la vie de Bernard Latarjet ne doit pas être simple tous les jours. Et elle le sera encore moins en 2011 avec le retour de Bruxelles, bien décidée à mettre sa frite dans la bouillabaisse locale !
La nécessité de ne pas nager dans les eaux troubles de la politique ne dédouane pas pour autant Bernard Latarjet et son équipe de s’être montrés indifférents au sort des petites structures culturelles locales qui se sont mobilisées contre la suspension des contrats aidés. Franchement, il n’aurait pas risqué grand-chose de sa neutralité politique en se montrant solidaire des artistes crève-la-faim, les mêmes avec qui il souhaite réussir 2013. Il ne faudra pas qu’il s’étonne, désormais, si MP 2013 soulève de plus en plus de méfiance de la part des milieux culturels, à qui l’on a beaucoup demandé depuis deux ans et qui ne voient toujours rien venir.
Ce décrochage de la réalité par l’équipe de MP 2013 n’a rien de surprenant. La capitale européenne de la culture fonctionne avec un mode de pensée verticale, hérité des cabinets ministériels des années 80 dont Bernard Latarjet a d’ailleurs fait partie. Tout est décidé par une techno-structure imposante qui perd peu à peu contact avec la réalité à force d’utiliser son énergie à sa propre survie et pour laquelle l’artiste local est plus un prétexte qu’une fin. Tout le contraire finalement des grandes envolées lyriques qui ont conduit Marseille à gagner le label de Capitale Européenne de la culture. Mais il n’est pas encore trop tard pour changer la donne. Rendez-vous cette année.
Stéphane Sarpaux
Le texte original est paru le 4 janvier sur l’excellent site www.marseille2013.org, où vous pourrez en lire la version intégrale